On réduit souvent la mélodie française à Chausson, Duparc, Fauré, Debussy, Ravel et Poulenc. C’est oublier toutes les mélodies des autres membres du Groupe des Six, celles de Satie, de Louis Vierne, Maurice Emmanuel, Lili Boulanger et autre Maurice Delage (que de noms !). La maison de disque Timpani s’est donnée pour mission de ressusciter tout un pan de ce répertoire. Un pari risqué mais qui s’impose d’emblée comme un événement discographique construit sur la durée, loin des médias. Raison de plus pour s’en faire l’écho.

Leur dernière livraison est consacrée à la quasi-intégralité des mélodies de Maurice Delage (1879-1961). Delage a souffert de son amitié avec Ravel. Sa vocation tardive et la faible quantité de sa production l’ont cantonné dans le rôle d’ »intime d’un grand ». Réécoutons pourtant ses mélodies qui sont des jalons essentiels dans l’histoire de la mélodie à commencer par les Quatre poèmes hindous écrits en 1912 pour soprano, piano, quatuor à cordes et cinq instruments à vents (ici, hélas, réduits dans leur version avec piano). Delage se servit de textes qu’il entendit au cours d’un de ses voyages en Inde (sauf la deuxième qui est de Heine). De même que Stravinsky dans ses Trois poésies de la lyrique japonaise, Delage crée une nouvelle langue, une nouvelle harmonie musicale. La mélodie possède une nouveau rythme de fait. Rien que pour cela, Delage doit retrouver sa place au sein de l’avant-garde du début du siècle. Son art de la mélodie est ainsi infiniment supérieur à celui d’un Reynaldo Hahn. Delage est un autre Ravel, un autre Debussy, avec l’ampleur en moins. Réservées, ses mélodies refusent les effets, les facilités. L’économie de moyens est à ce titre exemplaire. Par ailleurs, son recours à une tonalité élargie, à des modulations éloignées (au piano surtout) en font un des compositeurs les plus affirmés du genre mélodique. Un grand oublié en somme.

Billy Eidi tient au piano un rôle difficile, oscillant entre la tentation du soliste et de la neutralité. Il s’en sort largement avec les honneurs et surtout assure une assise impeccable pour les solistes qui, avec une mention spéciale à Jean-François Gardeil, d’une voix sûre et très « française », redonnent à ces œuvres toute leur dimension. On apprécie en particulier les 7 Haï-Kaïs, qui sont de véritables petits bijoux à savourer intimement entre les Chansons madécasses et les Poèmes de Mallarmé par Ravel. En définitive, Delage devient le prisme de couleurs par lequel on doit approcher la modernité ravélienne.