Le quatrième album du duo américain Matmos pose une question intéressante : jusqu’à quel point la technologie peut-elle transformer le réel ? Ainsi, A Chance to cut is a chance to cure part d’une idée à la fois géniale et complètement idiote : n’utiliser comme source sonore que des enregistrements d’opérations chirurgicales plastiques ou d’objets et circonstances liés. Bien entendu, tout l’intérêt de ce disque vient aussi de la façon dont MC Schmidt et Drew Daniel détournent les difficultés en convoquant plutôt les bonnes idées que les pirouettes démonstratives techniques et en allant jusqu’au bout de la logique de détournement conceptuel. A l’écoute du résultat, on se demande tout simplement à quoi cela peut-il bien servir de s’imposer des contraintes aussi sévères quand le matériel original est à ce point et aussi brillamment transformé.

Attention, ça ne veut pas dire que ce disque s’éloigne à tout prix de l’univers médical dont il s’inspire et tire l’intégralité de son catalogue de sons qu’il utilise. Mais le moins que l’on puisse dire est que l’on ne pouvait pas être plus éloigné de l’atmosphère clinique et froide que peut connoter l’univers hospitalier.

Lipostudio…and so on, en ouverture, utilise surtout des samples de liposuccion. Ne soyez pas effrayés, l’atmosphère est plutôt laidback, les rythmes tournoient et les glougloutements et autres sons de succion s’intègrent parfaitement dans une atmosphère cool. « Beaucoup de gens nous ont dit qu’ils adoraient le disque, mais avant de lire les notes explicatives et la nature des sources sonores. Ils le détestent maintenant. » Sic. Plus loin, le conceptuel pointe le bout de son nez, sous la forme de trois mots de Wittgenstein (« Now I know how it fits, and son on ») lus par Lesser, Kid 606 ou Blevin Blechdom. Le ton s’obscurcit, mélancolique. Loin du ton général du disque, enlevé et humoristique, à l’image du formidable Spondee (terme qui signifie des mots anglais phonétiquement équilibrés), dont la plupart des sons ont été enregistrés à travers une aide auditive. Le résultat est à mille lieues de la prise de tête conceptuelle : les sources sonores sont présentées par une voix féminine mais n’y correspondent jamais directement (« Sunshine » est signifié par un coq, « Hotdog » par des bruits de bouche de chien), en illustration d’une house track enlevée, simple et funky. En lieu et place du climax attendu, Matmos pose une question : à quel son pourrait bien correspondre le vocable « cow-boy » ? Pas de réponse, de la musique à la place. Mais quelle musique !

L.A.S.I.K. utilise des sons de laser opérant des cornées humaines pour un résultat forcément abrasif, For Felix (and all the rats), moment d’introspection du disque, est une symphonie de cages de laboratoires jouées directement à l’archet, et un hommage au rat de Schmidt et Daniel décédé trop tôt à leur goût. Le Kronos Quartet n’en est pas revenu, paraît-il. Ur tchun tan tse qui pique la mélodie de basse du Devil’s haircut de Beck mais la confronte à des déphasages rythmiques ébouriffants, entièrement composés à partir du corps électrifié de Schmidt réagissant à diverses interventions d’acupuncture. Memento mori, enfin, évite tous les écueils et connotations morbides en faisant de rythmes tapotés sur des crânes humains une sombre litanie pleine d’humour. Les crânes en rigolent encore. Et Matmos de nous répéter une dernière fois encore, en bons disciples de Duchamp, qu’on peut faire de l’art avec à peu près n’importe quoi, ou presque, du moment qu’on a du talent, du goût, et de l’humour. D’ores et déjà un des disques électroniques importants de l’année 2001.