Martha Argerich (piano). Orchestre symphonique de Montréal, Charles Dutoit.


Primo : la rentrée (classique) n’est pas tout à fait rentrée, on attend quelques blockbusters -mais pas seulement, rassurez-vous- pour les prochains jours, compte-rendu fourni dans le très prochain numéro. Petite note, quand même, à l’intention des lyricomanes de tout poil : deux pépites (comme dirait mon rédac’chef) qui valent d’être plus que goûtées, la Lakmé forcément très haut perchée de miss Dessay et de maître Plasson, et un Acis et Galatée par le non moins maître des baroqueux, Marc Minkowski, invariablement épatant, CQFD.
Mais deuzio, et surtout : s’il en est une qui mérite cette modeste chronique pour elle toute seule, s’il est dans cet univers de plus en plus frelaté (et concomitamment impitoyable) un joyau encore pur et incandescent ; s’il est un événement discographique -doublé d’un retour inespéré à la scène*– à souligner cet automne, sinon cette année ; s’il est une diva, un monstre sacré (d’humanité), une rebelle, une insoumise aux lois du marketing et du fric à tout prix ; s’il est une dernière légende (vivante) du piano, c’est elle.

Martha Argerich revient, plus fantasque, plus poète, plus illuminée que jamais, dans, devinez-quoi ? Ce concerto n°3 de Prokofiev qui fit sa gloire il y a tout juste trente ans, dans un enregistrement désormais fameux. Ce concerto qu’elle a donné aux quatre coins du monde, qu’elle joue à toute heure du jour et de la nuit, qu' »elle connaît mieux que le contenu de son sac à main », dirait sa fille -la mère préfère parler de son « concerto chloroforme » ! Avec des interprétations « chloroforme » comme celle-ci, on s’endormirait sans doute moins souvent devant notre chaîne ou dans les salles de concert !
C’est du feu, c’est du souffre, c’est l’expérience de toute une vie jetée sans fausse pudeur ni outrance (mais violence et passion, oui !) dans ce 3e, donc, que l’on se refusera de comparer -et de préférer (ou non)- à la lecture de 1967 : il faut évidemment entendre les deux. D’aucuns ne manqueront pas, non plus, de réécouter dans la foulée la mythique version de Janis et Kondrachine -ce que nous fîmes : détrônée ou pas ? J’attends vos réponses…

Le 1er de Prokofiev est de la même eau -du même feu, devrais-je (re)dire !- que le 3e ; mais j’avoue rester surtout impressionné par le 3ede Bartok, à coup sûr version de référence absolue. De l’admirable clarté de l’allegro religioso aux fulgurances emportant le finale, voici, oui, l’une des grandes gravures d’Argerich. Faut-il dire, enfin, un mot de l’ardent accompagnement de Dutoit, qui caracole et frémit au diapason de son ex-épouse : si cela n’est pas de l’amour, cela y ressemble fort…

* Martha Argerich sera à Pleyel les 23 et 24 septembre dans un programme incroyable : Ravel (Tombeau de Couperin et Valse), Chostakovitch (Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes), et, bien sûr, son Prokofiev adoré (Concerto n°1). Mais n’est-il pas dejà trop tard ?…