D’abord l’immense plaisir d’entendre à nouveau le piano de l’américain Marc Copland, quelques mois après le splendide recueil solitaire Poetic motion paru voici quelques mois sur le même label ; ensuite et surtout, celui d’une rencontre presque évidente : Copland et Gary Peacock se fréquentent depuis plus de vingt ans, leur première rencontre à Seattle (en 1983) leur ayant réciproquement fait, de leur propre aveu, une assez forte impression. Ils se retrouvèrent par la suite dans différents contextes, notamment au sein d’un trio avec le batteur Billy Hart (début des années 1990) et, bien sûr, dans cinq des albums publiés par le pianiste depuis quinze ans. Ce duo enregistré en septembre 2002 semble toutefois témoigner d’un pas supplémentaire franchi dans la compréhension mutuelle et l’appropriation par chacun de l’univers de l’autre : c’est ainsi qu’on a la surprise de découvrir au répertoire de What it says Vignette, un morceau composé par Peacock pour la plus célèbre des formations à laquelle il a participé, le trio « Standards » (avec Keith Jarrett et Jack DeJohnette) ou plus exactement son ébauche, c’est-à-dire l’album Tales of another publié sous le nom du bassiste à la fin des années 1970.

En osant reprendre et transformer à sa manière ce pan historique et légendaire de la musique de son partenaire (et par surcroît en doublant la reprise et en en faisant la conclusion du disque !), Copland prouve combien il se sent à l’aise vis-à-vis de celui qu’il aime à nommer son « frère jumeau aîné » (my older twin brother) ; réunis par leur goût des harmonies complexes et une intelligence commune des ressorts de l’improvisation, les deux musiciens coulent leur monde l’un dans l’autre avec un naturel et une spontanéité tout à fait remarquables, si bien qu’il devient hasardeux d’espérer distinguer à la première écoute les pièces signées par le pianiste (le splendide Talkin’blues), le bassiste ou les deux. Après avoir affronté les souffrances d’un cancer dont il a gardé une fatigue tenace, le bassiste revient en force ces derniers temps, en pleine possession de ses moyens. La rondeur et la précision du son de sa contrebasse, magnifiquement capté par les micros de Gérard de Haro, décuplent la puissance des couleurs éblouissantes et limpides du piano de Copland. Un univers d’une rare élégance, un disque parfait.