Il se cache un événement fabuleux derrière la sortie de ce disque sur le label phare de l’indé anglais des années 80. Un événement qui a surpris tout le monde, le petit groupe a priori obscur qu’est Magnétophone en première instance. Rappel des faits : Magnétophone est une formation de la scène underground de Birmingham, faisant partie d’un réseau passionnant de formations plus ou moins connues, de Broadcast, Pram et Plone (pour les plus connues) à Avrocar, Novak. Ex-centre névralgique des remous passionnants de cette scène, le label Wurlitzer Jukebox (RIP) marqua son époque (1994-1999) comme le symbole vivant d’une vraie éthique indépendante à une époque où les autres préféraient se fourvoyer dans la pop cocaïnée ou l’electro papier peint.

Aujourd’hui, le boss du label a jeté l’éponge, après avoir déterré nombre de formations indispensables (Broadcast, Soundsmith). Et c’est la structure Earworm qui a pris la relève, à grands coups de maxis lumineux et de compilations attachantes. En toute logique, Magnétophone devait sortir son premier album sur le petit label de Birmingham, à un tirage qu’on imagine aisément minuscule, après des sorties remarquées sur Earworm, justement, Static Caravan ou le label parisien Active Suspension. Le groupe a enregistré à la maison ce qui devait être son premier opus confidentiel, jusqu’à ce qu’un DA zélé en décide autrement. Probablement fatiguée de vains efforts commerciaux (Gus Gus, Cuba), la maison mère 4AD rachète le master à Earworm et décide de sortir l’album en l’état. On n’ergotera point sur les raisons qui ont pu pousser 4AD à lorgner du côté de Birmingham, comme l’a fait Warp à plusieurs reprises, ni sur le décalage presque dadaïste existant entre la musique elle-même et le label la mettant à disposition de nos oreilles fébriles. On se contentera de se réjouir, car si Magnétophone risque peu de remplir Wembley demain soir, Matt Saunders et John Hanson viennent de sortir un album fascinant.

Enregistré en temps réel à partir d’un bric à brac de vieux synthés Stylophone pourris, de mini-samplers et de pédales d’effets préhistoriques, ce disque éminemment organique est pourtant plus élaboré et plus imaginatif que bon nombre de ses contemporains enregistrés sur le dernier programme de synthèse granulaire à la mode. On oscille en effet dans un monde inconnu, quelque part entre l’electronica d’Isan, les guitares phréatiques de Dave Pearce et les introspections de chambre façon Foehn. On est pourtant encore loin d’obtenir une recette équivalente, car la musique de Magnétophone est résolument unique. De plus, l’analogique, poussé dans ses derniers retranchements, emmène la musique du trio vers des confins sonores et structurels résolument inédits : les rythmes triturés dans tous les sens laissent deviner ce que serait la musique d’Autechre sans ordinateur, les mélodies sont hachurées avec plus de violence que dans bon nombre de disques prétendument subversifs où l’erreur digitale est utilisée comme propos et fin formaliste. Magnétophone dialogue avec tout le monde, avec les castes romantiques comme avec les férus de déconstruction, mais aussi avec un enfant enthousiaste (So much as hold my hand). Au final, on comprendrait presque pourquoi 4AD s’est laissé charmer par Magnétophone. Derrière ses airs heurtés (son, longueur des morceaux) et son petit air de hype (scène de Birmigham, nostalgie de l’analogique, etc.) se cache en effet une des plus belles musiques romantiques que l’on ait entendu depuis longtemps.