Et une nouvelle carte postale de la Baie, par l’un de ses plus sympathiques représentants (qui en a aussi été l’un des plus brillants et des plus secrets, il y a quelques années, à l’époque de Latyrx) : Tom Shimura alias Lyrics Born, notre rapper-psamoldieur préféré de la Quannum / Solesides Family. Enfin, pas vraiment nouvelle, puisque, comme la pochette et le titre de ce disque le suggèrent immédiatement, il s’agit en fait du disque-bonus de son album précédent, l’apprécié quoiqu’un peu mou Later that day… Et, de fait, Same !@#$, different day s’écoute comme on regarde les extras d’un DVD après avoir visionné le film : avec plaisir, mais sans grand intérêt – juste pour en conserver un peu de l’atmosphère, revoir ses principaux moments forts, et écouter ses participants en parler avec cet enthousiasme standardisé, désormais la langue universelle de la Promotion.

Ces 13 titres (8 remixes, 5 titres originaux plus une poignée d’interludes) se heurtent donc aux mêmes limites qui étaient celles de Later that day… A savoir, en premier lieu, une production qui apparaît souvent plate par rapport à ces breaks aux creux monstrueux dans lesquelles tanguent les disques de Dj Shadow (dont l’ombre plane toujours sur les disques des Quannum) ; ensuite, ce flow ample et puissamment original, qui ne trouve hélas pas toujours les lignes mélodiques sur lesquelles déployer ses arabesques (ce que I changed my mind, en deux versions ici -celle, mid-atlantique, des Stereo MC’s et celle à grelots de Dj Spinna- lui avait offert en 1999, de la plus galvanisante des manières).

Mais, dans ses limites mêmes, l’exercice sait malgré tout être plaisant. Tout d’abord parce que, lorsqu’un titre sur lequel on entend Lyrics Born est bon, on ne se lasse pas de le réentendre, tant on se régale de cette façon qu’il a d’entortiller ses rimes dans d’orgasmiques montées mélodiques qui rappellent ce qu’est la puissance d’une chanson (à la manière du Spanish Harlem de Ben E. King, ou du Ever fallen in love des Buzzcocks, ce genre de choses). Et on a l’occasion de s’en rappeler ici, deux fois avec I changed my mind, donc, mais également avec le remix de Hello, qui figurait en bonus sur Later that day… -un choix pour le moins étonnant, s’agissant du meilleur morceau de l’album…

Il y a aussi ce côté « disque de copains » que Lyrics Born mettait déjà en avant sur l’album originel, avec sa liste de Shouts aussi longue qu’un générique du Seigneur des anneaux. Ces petits textes explicatifs aussi, qui accompagnaient chaque morceau dans le livret du CD. Tout ça prend ici un tour encore plus décontracté et, du coup, encore plus agréable. Car si un album est une chose sérieuse, qui tolère finalement assez peu ce genre de bavardage toujours trop superficiel (lorsque les morceaux parlent d’eux-mêmes) ou trop pontifiant (lorsqu’à l’inverse ils ne sont pas réussis), l’exercice est en revanche particulièrement adapté pour un album de remixes et de raretés, dont on attend forcément moins. C’est le cas ici : les petites histoires de LB à propos de la façon dont se sont faits tous ces morceaux sont comme ces anecdotes qu’on se raconte entre potes, qui servent autant à se rappeler du bon vieux temps qu’à consolider l’amitié. Incidemment, les fans de Brice de Nice apprendront que, dans la high school de T. Shimura, les rois de la « casse » s’appelaient des Capmasters (il donne un aperçu de cet art sur I’m just raw, sur des beats quelque peu étouffants de Dan The Automator).

Que serait par ailleurs un « disque de copains » sans les copains, justement ? Later that day… se limitait essentiellement au premier cercle (les Gift of Gab, Shadow et, bien sûr, Lateef) ; LB ouvre Same !@#$, different day un peu plus largement. Il accueille ainsi quelques cousins de la région (Evidence des Dilated Peoples, Casual des Hieroglyphics, Young Einstein des Ugly Duckling) et, surtout, deux monstres sacrés : le Professeur KRS-one lui-même (aux côtés du premier sur le remix de Pack up) et le maître ès slang E-40 (aux côtés du second sur le remix de Callin’ out), manière de rappeler à tous ceux qui ont tendance à classer les Quannum dans les marges lointaines du hip-hop US (pour s’en réjouir ou pour le déplorer) que, oui, c’est d’abord à de putain de rappers qu’on a à faire. C’est vraiment réussi sur Pack up, mais moins convaincant sur Callin’ out, où la folie linguistique d’E-40 roule au diesel.

Tout ça est néanmoins suffisant pour contre-balancer les volutes soul un peu mornes de Joyo Velarde qui empesantissent tout le milieu de l’album, et parmi lesquelles on trouve hélas une production bien apathique de Dj Shadow (bien meilleur aux scratches du Halou remix de The Last trumpet, juste avant). Comment s’étonner dès lors si, après l’avoir ouvert par le facile Hello, LB a préféré finir son disque sur un deuxième remix d’I changed my mind (celui de Dj Spinna) ? La ficelle aurait été un peu grosse s’il s’était s’agi d’un véritable nouvel album. Mais non ; Same !@#$, different day est juste la réunion d’une bonne douzaine de morceaux rassemblés par Lyrics Born dans ce seul but : dégager une bonne impression (et se souvenir des bonnes impressions passées). Sur ce plan, c’est réussi. En revanche, vous cherchez du nouveau, attendez plutôt la suite. Ou allez vous balader parmi les moogs d’Edan.