Lyrics Born, aka Asia Born, aka Tom Shimura, né à Tokyo en 1972 et élevé à Berkeley en Californie, est un des membres fondateurs du label Solesides au début des années 90, avec Chief Xcel et the Gift Of Gab de Blackalicious, bientôt rejoints par le jeune Josh Davis (Dj Shadow) et Lateef « the Truth Speaker ». Avec le succès du double EP Entropy / Send them de Shadow et Asia Born, Solesides a insufflé aux rappeurs californien l’esprit de petite entreprise, qui a permis l’émergence de labels talentueux comme Hiero Imperium ou Stones Throw. Solesides a acquis cependant une renommée internationale en sortant l’album de Latyrx, duo formé par Lateef et Lyrics Born (1995) et le fameux Spectrum sous l’étiquette Quannum (1999) qui s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires, grâce notamment au parfait I changed my mind chanté par Lyrics Born et les Poets of Rythm. Ces derniers avaient d’ailleurs fait leurs débuts américains sur Quannum (Discern / Define) en 2001, en même temps que l’égérie de Lyrics, Joyo Velarde.

Après plus de 10 ans de carrière, Lyrics Born ne sort qu’aujourd’hui son premier véritable album solo sur Quannum. C’est dire si l’objet est mûrement réfléchi et parfaitement réalisé. Later that day est un magnifique concept-album, passant en revue accélérée les différents moments d’une journée de rappeur californien, depuis son réveil difficile (Bad dreams) jusqu’au coucher réconfortant (Nightro). Comme n’importe quelle journée, celle-ci recèle son lot de désagréables surprises (l’hilarant interlude U ass bank, où le fond sonore du répondeur automatique d’une banque chante façon old soul « Tu l’as dans le cul ») et de rencontres impromptues : le bassiste Tommy Guerrero sur un Callin’ out funk en diable, Cut Chemist à la production sur un Do that there aux rythmiques sophistiquées (scratches et percus brésiliennes), M. Whitefield des Poets of Rythm ou Gift Of Gab en alter egos de flow et de luxe. L’ensemble variant les atmosphères : des tonalités funk, R&B, voire ragga imprègnent très naturellement (sonorités naturalistes, souci des mélodies) ce hip-hop au pas fluide et harmonieux.

La plupart des chansons s’inscrivent ainsi dans le rythme du marcheur, la journée devenant métaphore d’une vie, avec ses angoisses familières : les créanciers au téléphone (Cold call), les critiques parentales (Stop complaining), les amitiés incertaines (Before and after), le défi professionnel (Pack up). L’amour apparaît aussi, en la personne de Joyo Velarde, omniprésente dans les nombreux et magnifiques choeurs féminins ainsi que sur le morceau Love me so bad (wha wha langoureuses) ou le sublime Rise & shine (piano et nappes éthérées, dans la lignée de son single Balcony beach). Mais l’album contient surtout deux sommets : Cold call, d’abord avec Gift Of Gab, plaque une conversation téléphonique sur un beat R&B nonchalant et presque psychédélique, induisant une réciprocité subtile entre l’échange, la parole des deux protagonistes, et le rythme de la vie, comme un flux d’échanges inconscients et harmonieux (mais un flux fragile…) ; Last trumpet, enfin, confrontation apocalyptique et frénétique des deux membres de Latyrx, Lyrics et Lateef, le temps d’un morceau au sommet, sur un rythme certainement inédit dans l’histoire de la production hip-hop. Local et global, singulier et universel, temporel et spirituel, Later that day est une merveille.