Yiddish et tzigane, Les Yeux Noirs, formation de six musiciens passionnés de musique d’Europe centrale, continuent leur folle aventure dans l’univers rom et klezmer. Balamouk, « la maison des fous » en roumain, leur quatrième album, respire la maturité et l’audace. Ils revisitent comme toujours la tradition, mais avec un regard résolument neuf et complètement tourné vers le monde d’aujourd’hui et à venir. La mélancolie des violons du passé dialogue avec ferveur avec le déchaînement des guitares électriques de la scène contemporaine. Sonorités d’hier et d’aujourd’hui se mélangent à merveille. Reprises du patrimoine slave et juif, compositions originales : l’équilibre entre les deux mondes est maintenu pour mieux surprendre. L’incontournable chant de louanges à la mère juive (Yiddishe mame) déroute par sa singularité, tout en se raccrochant au train de la tradition. Aucun sentiment de nostalgie dans le ton, mais tout dans l’émotion brute. Tendresse, autre chanson interprétée en leur temps par Bourvil et Laforêt, adaptée sur ce nouvel opus avec la complicité de Boris Bergman, a perdu ses allures latino-américaines d’antan pour entamer une nouvelle vie en langue yiddish (Liebkeit). Envoûtant ! Et tellement simple dans l’interprétation…

Car le secret de Balamouk réside dans cette alchimie sonore, aussi subtile que simple d’accès pour l’oreille en vadrouille. Musique populaire, issue d’une culture empreinte de persécutions et de tragiques, l’œuvre des Yeux Noirs exalte l’univers des csardas hongroises ou encore des sirbas roumaines, avec ce goût de la chose festive qui entraîne le public, même dans ses moments les plus mélancoliques, sans le ménager. L’énergie est au rendez-vous. Spontanéité, générosité, intensité sont des qualités présentes dans ce répertoire tissé par un sextet plutôt déconcertant. Accordéon, violons, violoncelle, contrebasse, guitare, etc. complotent ici contre les lourdeurs du classicisme bon teint. Ils en font la devise de leur ouverture manifeste. Les frères Slabiak ont des origines russes et polonaises, Ionica est roumain, Anastasio a grandi en milieu manouche, Rondeau et Perchat suivent leurs traces dans une passion qui aurait pu se résumer en une simple quête des origines. Ce beau monde -il est vrai- n’a jamais mis les pieds dans les pays d’origine supposée de cette musique. Mais Les Yeux Noirs représentent à coup sûr une relève possible pour une musique qui, à force d’errances, se laisserait plomber, de peur de se noyer dans un monde sans repères.