Inconnu, Lenny Popkin ? Peut-être pas tout à fait, mais il faut bien admettre que le son blanc et paisible de son saxophone ténor mériterait davantage de notoriété et pourrait séduire bien au-delà du cercle somme toute étroit des tristaniens convaincus qui forment la meilleure part de son fan club. Né à New York en 1941, il commence par la musique classique et le violon avant d’opter pour le saxophone alto, sous l’influence de Earl Bostic. C’est à la fin des années 1950 qu’il découvre Lennie Tristano : il sera son élève à partir de 1961, côtoyant par ailleurs Ornette Coleman à la Lenox School of Jazz (ils participent ensemble au groupe de Herb Pommeroy). Partenaire des pianistes Sal Mosca et Connie Crothers, il troque l’alto pour le ténor au milieu des années 1960 et continuera de fréquenter la bande de Tristano, jouant notamment lors du concert donné au Town Hall de New York à sa mémoire, en 1979. Du point de vue des enregistrements, Popkin n’a jamais fait dans la surenchère : outre la captation dudit concert tristanien, ne sera pendant longtemps disponible qu’un seul album sous son nom, enregistré en 1979 également sous le titre Falling free, et qui ne paraîtra d’ailleurs qu’en 1981. Un disque dans lequel il avait déjà choisi la formule saxophone-basse-batterie, avec le contrebassiste Eddie Gomez : celui-ci est encore au rendez-vous pour ce New York moment enregistré en février 2004 avec, aux baguettes, la propre fille de Lennie, Carol Tristano. Autant dire que Popkin est un artiste rare : ces neuf plages n’en ont que plus de prix, qui donnent à entendre un jazz gracieux et extraordinairement léger, presque minimal, comme si l’absence de piano avait poussé les trois musiciens à dégraisser toujours plus le flux sonore pour ne laisser au final qu’une couche mince comme une feuille de papier, sur laquelle le saxophoniste viendrait écrire ses histoires. Cultivant avec brio l’héritage de Tristano, il laisse couler avec élégance de longues lignes mélodiques fluides et ininterrompues, toujours dans des tempos médium, en jouant sur cette sonorité douce, mate et veloutée qui fait parfois songer à l’alto de Paul Desmond. « Saxophoniste du flux, écrit François Billard dans ses notes de pochette, il n’y a chez lui aucune exacerbation, ni saturation du son, mais un chant qui s’élève et évoque immédiatement une voix. Popkin est un organe vocal comme pouvait l’être Caruso, pour nous en tenir à un registre extérieur au jazz : on l’imagine aisément chanter-souffler en pleine rue pour le bonheur des passants ». Confinant presque à l’abstraction à force de constance dans le volume, la musique de Popkin n’en séduit pas moins, paradoxalement, par sa richesse mélodique et par l’ampleur que lui autorise le dépouillement de l’orchestration. Un album original et envoûtant, à écouter dans les moindres détails.