Last Harbour est né en 1998. Ce groupe british s’articule autour du chanteur Kev Craig, du guitariste David Armes, du batteur Grand Painter, de la violoniste Hilary Caprani et de la pianiste Gina Murphy. Après avoir enregistré en l’an 2000 leur premier EP Hidden Songs (sorti sur le label anglais Liquefaction), on les retrouve pour un nouvel opus au titre suggestif : An Empty box is my heart. Last Harbour vient tout juste de signer sur le label français Alice in Wonder (Anne Laplantine, dDamage, Column One, Electronicat…), qui semble apparemment s’éloigner pas à pas de « l’univers electronica ». Les dernières signatures d‘Alice in Wonder témoignent d’ailleurs de leur orientation post-rock (Chuzzlewit, Retsin, Below The Sea…). On percevait déjà les velléités rock du label dijonnais avec la sortie de la très bonne compil Beyond beyond, qui regroupe des formations telles que Hood, Electroscope, Tin Foil Star, Crescent, ou encore Monopot.

Dès le premier titre (un des plus touchant), on pense aux succubes infâmes qui -selon nombre d’hérésiarques- rôdent dans la lande de certaines contrées du nord de la Grande-Bretagne. Out across flatlands vous plonge sur un terrain brumeux, où il ne fait pas bon s’aventurer seul, sauf si votre âme est en perdition, en quête d’un gouffre sans fond. On pense également aux premiers albums des Tindersticks, à Marriage made in heaven, bien sûr, mais aussi aux groupes Low, Dirty Three ou encore Whiskeytown. Les fans des Tindersticks et de Lee Hazelwood apprécieront sûrement An Empty box sauf, peut-être, les ultra-puristes. Il est indéniable que le spleen est un des éléments essentiels de ce groupe. L’ambiance n’est pas vraiment au beau fixe dans les masures délabrées de Last Harbour. On croise ici quelques violons vieillis par la pluie, des cordes maladives et rongées, des guitares sèches imbibées de whisky, un piano timide, du brouillard aussi… On sent bien que ce collectif vient du nord de l’Europe (le chanteur est originaire de Darlington, bourgade du nord de l’Angleterre), et que chacun de ses membres connaît la pluie par cœur, ou plutôt sur le bout des doigts. A l’écoute de Five mile lake, on retrouve le thème de l’eau et de la mort (« I went down to the water with a thick black gun, and the lake was clistal clear »), tandis que le très sombre Apologies percera à coup sûr le cœur des plus sensibles. Kev Craig y susurre des excuses repenties, tel un Stuart Staples fantomatique et rajeuni… La fin du morceau est ingénieusement brouillée par un superbe passage d’harmonica jouée à l’enflammée, qui réveille promptement l’auditoire et constitue un des passages les plus énergiques de ce disque maladif. On est quelque peu troublé par l’apparition de ce boîtier métallique furieux, qui paraît renfermer une série d’anches rouillées, mises en résonance par le souffle tonitruant d’un musicien qu’on suppose alcoolique et bourru. Le mélange est toutefois très réussi. Le dernier titre (When a 12) permet à la pianiste Gina Murphy de placer quelques notes délicates (le piano n’est pas un élément prépondérant du CD), sur lesquelles Craig pose ses derniers mots accablés.

Non, l’organe vital des Last Harbour n’est pas vraiment vide, seulement un peu trop chargé d’alcool et de pluie. Mais cela n’empêche pas ce cœur nauséeux de battre haut et fort ses lamentations écorchées et ses intonations éraflées. Kev Craig -songwriter échaudé par les ondées- pourrait être le petit frère de Stuart Staples, un petit frère qui voudrait se débarrasser de l’ombre que lui fait son aîné, en essayant de s’en démarquer tant bien que mal. Il y arrive parfois, ce qui donne un charme troublant à cet opus pluvieux et mélancolique.