Le nom de Large Professor est familier à tous ceux qui écoutent du rap depuis au moins dix ans. Le problème, c’est qu’il n’y a guère qu’à eux qu’il est familier. Rarement en effet carrière aura été autant sabotée que celle de Paul « Large Professor » Sea : auteur avec son groupe Main Source de l’un des derniers grands albums de l’Age d’Or du hip-hop (Breaking atoms, en 1991) ; collaborateur de deux des albums les plus fulgurants de la première moitié des années 1990 (Midnight marauders de ATCQ et Illmatic de Nas), il met plus de 10 ans à sortir ce premier album, dont le prédécesseur, l’avorté The LP, est devenu le modèle ultime de l’album de hip-hop remisé au placard par sa maison de disques ; introducteur au monde de Nas et Akinyele (sur le légendaire Live at The Barbeque de Breaking atoms), ce n’est que de loin qu’il suit ensuite les hauts (et bas) de ses protégés, lui dont les galères discographiques ont failli tuer la carrière durant ces mêmes années.

Mais voici donc qu’en cette fin 2002 sort enfin 1st class, premier album officiel du Grand Professeur. Et le plus étonnant est que c’est Matador, le label indie-rock-new-yorkais-qui-ne-sortit-jamais-le-premier-album-de-Non-Phixion, qui nous l’apporte (à croire qu’ils ont voulu se faire pardonner). Sauf que, au lieu de nous réjouir, cette nouvelle aurait plutôt suscité de prime abord crainte et gêne ; c’est que, dans un univers aussi mouvant que celui du hip-hop US, il y a pire encore qu’un mauvais disque : un mauvais timing. Car, comme disait Trust, le temps perdu ne se rattrape plus (ne se rattrape plus), et on craignait que Large Professor ne livre ce genre d’album classique mais désuet que Marley Marl ou Pete Rock donnèrent par exemple à la série The Beat classics. Paul Sea mérite mieux, en effet, que de débuter sa discographie solo par un disque déjà daté.

Rapidement, cependant, l’auditeur se rassure : 1st class n’est certes pas un disque moderne (il n’est pas produit par les Neptunes, on n’y entend pas de beyatch réclamer une fessée), mais ce n’est pas non plus un disque passéiste. C’est exactement le genre de disque qu’on attendait de Large Professor en 2002 : quelques clins d’oeil au passé (pour ceux qui ont raté le début, Extra P ose même une auto-énumération de ses propres classiques à la fin de Born to ball), peu de guests mais tous de la famille (Nas et Akinyele en fils prodigues, Q-Tip en grand frère), un flow sûr et maîtrisé (contrairement à Primo ou Pete Rock, ses contemporains, Large Pro fait aussi le travail devant le micro) et, surtout, des productions qui tiennent sans rougir la comparaison avec le futurisme visionnaire de Breaking atoms.

Né de la production hip-hop à l’époque où ATCQ et Pete Rock insufflaient de jazz leurs breaks, Large Professor n’a pas oublié les enseignements de sa jeunesse, avec des titres comme Stay chisel, moelleuses retrouvailles avec Nas, Kool et sa chaude atmosphère de live limite Moodymann ou In the sun qui sonne presque comme du Quasimoto gothique, avec ses choeurs sépulcraux. Et, après avoir rappelé ses beats de noblesse sur Born to ball, il n’oublie pas non plus de nous livrer de nouvelles raisons de hocher la tête en rythme (Blaze rhymez II et son chorus heurté so NY, l’efficace ‘Bout that time, ou Brand new et son piano minimaliste très Jeru + Primo). Le plus surprenant pour l’auditeur, déjà satisfait de retrouver son Professeur à l’aise dans ses matières préférées, est cependant de l’entendre s’essayer sans façon à l’expérimentation ludique de nouveaux sons, jusqu’à évoquer l’Automator de Deltron 3030 (sur Ultimate) ou un JJ Perrey en visite dans le Queens (Alive in stereo et son Word !, trademark du Prof, en boucle sur une ondulation synthétique). Et on n’oubliera pas l’étonnante exotica futuriste de On, chevauchée par le flow de Busta Rhymes.

Le tout forme un LP solide et cohérent, qui viendra se ranger dans le rayonnage pas si dégarni que ça des come-backs hip-hop réussis, un peu au-dessus de The 18th letter de Rakim et de Back in business d’EPMD, et pas si éloigné du Moment of truth de Gangstarr.