Comme à l’habitude, les conditions météorologiques s’améliorent le deuxième jour. Après avoir assumé des fonctions de journaliste en m’entretenant avec Kiasmos à 18h, je file profiter d’un bar VIP désert et ensoleillé. A peine le temps de vider ma cashless qu’Only Real débute son concert par ce qui ressemble à des miasmes rincés au vocoder. Les popsongs du rouqin d’Outremanche teintent l’atmosphère d’une nuance estivale. C’est délicieux. L’hôte de la scène des Remparts s’inquiète à chaque chanson du bien-être de son public. La bonne ambiance n’est peut-être pas tout à fait de son fait mais les « ouh, ouh, ouh » et les « nianiania » des refrains y contribuent certainement. Plus tard, à l’espace presse, les comparaisons idiotes vont bon train : « tu portes une casquette, te prends-tu pour Mac Demarco ? » ou « tu es roux, te prends-tu pour King Krule ? », mais le jeune britannique sourit poliment et tente gentiment de faire entendre raison à ses interlocuteurs, sans jamais se départir d’un sourire avenant.

Kiasmos montent sur la scène du Fort Saint-Père et appuient sur le bouton play. Olafur est plus à l’aise derrière les trois boutons que son accolyte aux cheveux longs dont je ne retiens pas le prénom. Le duo islandais entre au panthéon des djs — doigt en l’air pour l’un, bras tendus vers un bouton en renversant la tête en arrière pour l’autre. Le set est rond et suave, délicat à l’oreille, encore fatiguée de la veille. Les « tubes » se succèdent et les loops gagnent en épaisseur. De leur propre aveu, Kiasmos concédaient plus tôt qu’il est plus difficile de déconstruire un morceau de musique électronique que de le monter. C’est précisément la faiblesse, la seule sans doute, du concert. Les mauvaises langues croient entendre Robert Miles qui aurait troqué son synthétiseur pour un piano mais la vanne est sans doute un peu tirée par les cheveux de l’accolyte d’Olafur.

En d’autres temps, les girlbands programmés à La Route du Rock se nommaient Electralane. Cette année, c’est Hinds. La réalité annihile nos attentes les plus pessimistes : ça piaille dans tous les sens à la pyjama party. Le concert est pourtant sympathique, presque charmant par moments, mais clairement inabouti. Puis, la kermesse madrilène laisse place au karaoké de The Cure, comparaison que Luis Vasquez prend pour une insulte plus qu’un hommage – étonnant.

The Soft Moon commence à jouer son album Deeper, puis revient à quelques morceaux de Zeroes. Avec ses rythmiques électroniques, le concert perd en stridence ce qu’il gagne en profondeur. L’effet tant recherché  d’une musique désincarnée est réussi et le set est aussi mécanique qu’inhabité. Luis attaque sa guitare avec une ferveur assumée et son micro avec un coffre intéressant. Pourtant, le set s’enlise dans un registre monocorde insoupçonné. Il se dégage vite l’impression que Monsieur Vasquez a mal à la vie. On y croirait presque.

Le spectre de Björk trône ensuite sur la scène des Remparts. Sur le t-shirt de Joe Hatt. Les garçons de Bristol étalent leurs fêlures au travers de compositions écorchées à vif. Les feulements d’un chanteur qui aura un chat dans la gorge en sortant de scène répondent aux enveloppes saturées plus aériennes. S’ils ne regardent pas systématiquement leurs chaussures, les Spectres cherchent quand même à se faire coller l’étiquette shoegaze sur le front, sans doute parce que ce n’est pas entièrement faux, et peut-être parce ça fait toujours bien dans le dossier de presse.

Enfin, les bouche-trous s’emparent du fort. La mise au point s’impose : « big up to Björk who couldn’t make it tonight » bouh, « so we came instead » ouais. De quoi se poser en tête d’affiche et faire oublier Björk qui fait sa tête de con. Le second choix devient premier de la classe et les minets oxoniens entament un set très viril. Je pense reconnaître un morceau qui passait au menu d’une édition passée de FIFA. Foals a joué trois nouveaux morceaux, paraît-il. Les commentaires fusent dans la foule : « ‘tain, y font l’boulot, Foals. Björk, elle l’a pô fait, l’boulot » et les dythirambes se multiplient : « énorme », « super concert », « génial », « bien ». Les sourires se dessinent sur le visage de festivaliers conquis et les rires explosent quand passe un vieil album de Björk après le concert.

Drone Logic avait séduit la sphère électronique par ses compositions humbles et fouillées, qui remettaient au goût du jour une techno parfois désuette en la teintant de sonorités empruntées au rock progressif. Mais le concert de Daniel Avery se révèle être, contre les a priori positifs que je me répétais, un voyage au bout de l’ennui. La logique bruitiste de l’album n’est que trop rarement rendue au profit de lignes épaisses de basses. Ces fréquences envahissent l’espace et les nuances aigues n’apportent pas le souffle espéré pour ouvrir des morceaux refermés sur une rythmique martiale qui ne cesse que pour mieux rebondir, sans jamais laisser des enveloppes de reverb filtrée transporter les auditeurs avant le drop extatique si commun et pourtant si efficace. Lindström joue ensuite.