Fort Saint-Père – 14 août 2015

D’un point de vue socio-démographique, La Route du Rock s’impose comme le point de rencontre entre la rive gauche soularde de Brest et la rive droite intermittente de Paris — les Rennais n’affichent ni le taux d’alcoolémie des premiers, ni le look Aigle et Quechua des seconds. Les uns s’émeuvent d’entendre des groupes qui ne passeront jamais dans leur ville alors que les autres, opprimés par le parc immobilier locatif, s’enorgueillissent d’assister aux concerts qui leur sont interdits le reste de l’année — vingt-cinq euros pour A Place to Bury Strangers, rappelons-le. Au terme de vingt-cinq ans de travail acharné, le constat est sans appel : il pleut, il faut donc drainer le site. Les meilleurs régisseurs de France se sont donc penchés sur le plan local d’urbanisme du Fort Saint-Père. Résultat : presque plus d’eau et une circulation désormais beaucoup plus fluide. Certains naïfs se prennent pourtant à rêver d’un festival sans bottes ni k-way.

Le Fort Saint-Père s’ouvre sur la scène des Remparts, avec Wand. Le fils caché de Hugh Grant version rousse monte sur scène, et les Californiens délivrent la prestation qu’on attend d’un groupe garage-psyche-rock de Los Angeles. Les fans de Ty Segall et Thee Oh Sees s’y retrouveront. Les compositions sont tour à tour épurées jusqu’au riff musclé et augmentées jusqu’au transport aérien d’enveloppes de reverb. Si je trouve que c’est un bon concert, tout le monde n’est pas du même avis. Les chèvres ne seraient pas seulement sur scène, mais aussi sur les remparts du fort.

Qu’on se le dise, The Thurston Moore Band n’est pas Sonic Youth, et encore moins le Sonic Youth qui avait joué Daydream Nation avant d’entamer un best of fameux sur la même scène du Fort Saint-Père en 2007. Résumons : The Thurston Moore Band = Sonic Youth – Kim Gordon – Lee Renaldo + Debbie Googe de My Bloody Valentine. En gros. La pluie s’arrête, mais on attend toujours le déluge de noise. Thurston Moore annonce, lui, « une belle expérience estivale », faite de longueurs bruitistes inachevées et de ryhtmiques humides. Merci.

Le grand mérite de The Thurston Moore Band est de faire briller Fuzz juste après. Le groupe de Ty Segall est grimé en Kiss, ou en Joker, c’est selon. Le son est rond, bruyant, et lentement s’installe le sentiment d’assister à un festival rock. Certains dénoncent trop de drogues et trop de cheveux, mais je préfère retenir le consensus général autour de ce groupe, porté par l’aura du laidron Ty Segall. Ce concert est vraiment exceptionnel, et c’est bien exceptionnellement que j’y assiste. Au jeu des étiquettes, j’entends du stoner mais si j’en crois mes prestigieux confrères de la presse musicale, il peut aussi s’agir de garage et de psyche. Dire que ce concert me casse les oreilles n’est pas un euphémisme, je pars en quête de bouchons.

Algiers assure la transition entre les groupes de première partie, rock chevelu et criard, et ceux de la deuxième, plus familiaux et consensuels. Le bassiste est exécrable dans ses harangues à la foule. Il gesticule comme s’il jouait dans un groupe de néo-métal et broie l’effet soul de la voix du chanteur. S’ils ne venaient pas d’Atlanta, on ne se laisserait pas duper une seconde par ce groupe de britpop qui mériterait au mieux l’humiliation des jeunes pousses françaises sur la « scène » du Bon Secours, ou une comparaison douteuse à Bloc Party. Passons sur Timber Timbre, qui se produit ce soir à la Mécanique Ondulatoire et dont je ne veux en aucun cas commenter la prestation, pour ne pas gâcher l’effet de surprise.

Quant à Girl Band, que dire de mieux que vous n’ayiez déjà lu ici-même de l’excellente plume de notre confrère JB : « Malgré ses apparences de premier de la classe (sic), le groupe se révèle beaucoup moins inoffensif qu’il n’y paraît et fait monter l’adrénaline avec une furie noise-rock (sic) – synthèse implacable entre Birthday Party, Jesus Lizard, Sonic Youth circa 1985, James Chance et The Fall (rien que ça) – soulevé par un tempo de grosse caisse qui procède du même effet qu’un beat électronique (quel est donc cet effet ?) ».

Il est près d’une heure du matin quand le groupe de toutes les vannes se présente sur scène. Twitter est en ébullition : certains ont posé des RTTT pour voir les New-Yorkais se ratatiner sur scène. Groupe des plus pointus de 2007, année à laquelle cette édition du festival semble décidément dédiée, Ratatat s’appuie principalement sur les génériques de dessins animés des années 80 pour un concert aussi pénible que celui de Jamie XX l’année dernière. Magnifique ? Non. Rone joue ensuite.