« Toutes les productions que j’ai faites avec Kool Keith ont été de réelles collaborations. Sur les albums qu’on a bâtis ensemble, il a élaboré certains sons, certaines mélodies, surtout sur Matthew. Keith a une oreille musicale intéressante. Il joue du synthé, connaît bien les claviers. Sur l’album Ecologyst de Doctor Octagon, il joue de la basse sur quatre morceaux. Keith est un gars incroyablement prolifique, à l’imagination débordante. Le hip-hop serait différent sans lui. Quand il rappe qu’il est né sur Jupiter, tu le crois presque… » (Kut Masta Kurt).

Depuis la sortie du Game de KHM (Kool Keith, H-Bomb et Marc Live) sur le label français Junkadelic Zikmu (Aktivist, Bams…), Kool Keith et ses proches n’ont cessé de faire exploser leurs ogives rapologiques sur le Vieux Continent. On citera entre autres livraisons le Validation de son compère Marc Live, ancien membre du groupe Raw Breed et jadis programmateur à ses côtés au sein des Analog Brothers (Ice-T, Kool Keith…). Les projets solo de Keith, en revanche, se font attendre, notamment les albums Captain Black -un opus hip-hop pur jus- et Electric evolution, un projet electro bizarroïde à son image, paranormal et insolite. Alors pour patienter avant ces deux projets appétissants, on se rue sur cette nouvelle livraison du label français sobrement titrée Collabs tape, sorte de mise en abîme des multiples collaborations du maître. Car pour celui qu’on connaît également sous le pseudo de Doctor Octagon, il n’a jamais été difficile de développer des connexions, et ce depuis le début de sa carrière. La collaboration est ainsi le mode de vie habituel de ce caméléon du paysage rapologique. Depuis ses débuts au sein des mythiques Ultramagnetic Mc’s -un des groupes les plus mésestimés de l’histoire du rap-, l’homme aux mille visages n’a en effet jamais cessé de pondre des cocons aux quatre coins du globe, comme en attestent les albums et / ou projets Matthew, Black Elvis, le projet somptueux Doctor Octagon ou encore l’aventure Masters of illusions. Pour ceux qui auraient pris le train en marche, on conseille vivement la (re)lecture du mini-portrait Kool Keith : Perdu dans l’espace, chronicarté dans ces pages il y a quelque temps.

Tout en gardant sa crédibilité dans le paysage du rap US, Keith a toujours eu du nez pour se dénicher de bons raccourcis qui mènent au coeur du rap, notamment en Europe… Il a par exemple empoché un bon paquet de fric pour quelques featurings du côté des britanniques de The Prodigy, notamment sur l’atomique Diesel oower -que l’on retrouve ici dès l’intro sur le CD 2-, ou encore dans les poches des néerlandais de King Bee il y a environ douze ans. En France, son alliance avec Junkaz Lou ressemble également plus à une vraie collaboration artistique sur du long terme qu’à un deal passé aux enchères du « rap museum », comme en témoigne sa superbe Official space tape parue voici deux ans.

Ce double album de la paire Doctor Sperm / Junkaz permet une fois encore de glisser sur l’ombre de cet être anormalement prolifique. De fait, les deux opus présentés ici sont blindés à craquer de raretés, de sublimes vieilleries ou de chutes de studios farouches. Sur la première salve, on croise pas moins d’une vingtaine d’invités, avec d’entrée de jeu une grenade concoctée aux côtés de feu Ol’ Dirty Bastard (Mankind theme) qui rappelle combien ODB pétait le micro comme nul autre. Les morceaux sont parfaitement enchaînés par un Junkaz Lou toujours aussi inspiré, qui saupoudre ses scratches furtifs sur les cordes vocales d’un bon nombre de Mc’s. On notera notamment l’excellente portion Exclusive one featuring Victor Vaughn aka Mf Doom (un morceau apparemment enregistré à l’époque du Vaudeville Villain de MF, hypnotique et malin, clairement marqué par l’univers de Metal face de Doom. Comme à son habitude, Keith s’installe tranquillement derrière le micro, sortant de sa mallette des invités prestigieux comme Percee Pee, Sir Menelik, Ice-T, The Smut Peddlers ou encore ses proches collègues Tim Dog (l’auteur de Penicilline on wax, perçu un temps comme un des membres des UltraMagnetic’s…) et Godfather Don (collègue de longue date, membre de The Cenobites que l’on retrouve ici sur plusieurs plages comme Kick a dope verse ou encore You’re late). Sans jamais se laisser voler la vedette par ses partenaires, le flow inimitable de Keith se (dé)pose tout aussi bien sur la joie funky de Roger Troutman (Party baby) qu’il se fracasse sur les rythmiques barbares et les samples industriels du puissant Destruction mission exécuté aux côtés de Earatik Statik & Black Silver. L’auteur de Sex style sait aussi se (dé)placer sur les sessions freestyles, même aux côtés des poids lourds du genre Chino XL.

Pouvant aussi bien faire bouger les dancefloors que les cerveaux, la science hip-hoppesque de maître Keith s’étale ainsi sur 42 titres parfaitement ficelés par un Junkaz qui sait placer ses effets sans se mettre trop en exergue. La fraîcheur de Kool Keith, c’est avant tout sa façon de déployer son langage à toute les sauces, critiquant aussi bien ceux qui crachaient sur le rap sudiste il n’y pas si longtemps que ceux qui se ruent aujourd’hui sur le moindre pet de Lil’Jon, sans oublier de parler de ses allégories sur la dernières paire de Nike qu’il a trouvée sur la tombe de Einstein ou du rat transgénique qui lui transmet des infos capitales pour la destruction de l’Univers… L’imagination créatrice est bien le moteur essentiel de cet homme qui pond plus d’un néologisme à la seconde. Et lorsqu’il s’essaye à la poésie urbaine (King of New York avec Dan The Automator à la prod, déjà édité sous l’alias Sinister 6000 a l’époque de A Better tomorrow), il réussit à faire pleurer de l’or dans les égouts putréfiés de la Grosse Pomme. Sur cette tranche magistrale, c’est toute la quintessence de la plume de Keith qui se dévoile. Les rues du Bronx sont parsemées de consoles Sega Genesis, écrasées par un égo-trip à rallonge d’un Mc qui enfile aussi bien le manteau du maquereau Goldie (héros du film de The Mack, dans lequel on peut découvrir un cousin éloigné de Keith nommé Richard Pryor) que celui du mafieux Frank Nitty. Pour ceux qui douteraient encore de la bonne forme de Kool Keith, rien de plus revigorant que ce double gâteau sur-vitaminé, plein de surprises et de rencontres passionnantes.