Il y a des genres musicaux dont le programme est tout entier résumé dans le nom : ainsi, le synth-punk. Apparu à la fin des années 70 dans le fourre-tout géant de la new wave, et porté par des groupes comme Chrome ou les Screamers, le genre est un des rares à tenir sa dénomination de la présence d’un instrument : le synthétiseur. En apparence, c’est anecdotique, mais en réalité cela change à peu près tout, puisque le punk prolo des bas-fonds y gagne une dignité arty, et que le no future nihiliste y devient un futurisme aux ambiances sombres et torturées, indus’ et dystopiques. Il y a deux ans sortait Getting Worse des belges de Prince Harry (Teenage Menopause Records), qui semblait incarner l’essence du synth-punk, soit trente minutes ininterrompues de baston digitale, où les échos malades des friches industrielles répondaient aux incantations rageuses du chant, pour une chevauchée à 200 Bpm évoquant un gigantesque pogo en free party, au fond d’un hangar de l’Essonne en plein mois de novembre.

On retrouve d’ailleurs Lio, le guitariste-chanteur du Prince Harry, au clavier de Komplikations, dont le nouveau EP « Going Down » sort ces jours-ci (on s’en veut de ne pas avoir évoqué leur mini-album fin 2013, ceci est une séance de rattrapage). Komplikations pousse encore plus loin l’ascèse et le dénuement dans sa recherche de la quintessence d’un genre : pas d’instruments analogiques hormis la batterie, un seul synthé, et un chanteur. Lio n’est pas vraiment un manchot avec les touches, c’est même « le poignet droit le plus rapide de Wallonie » d’après ses amis (et en effet, il est assez spectaculaire de le voir martyriser frénétiquement son clavier sur scène, à un tempo parfois double de celui du charley), et ses basses délicieusement ronflantes, ses aigus savamment saturés, suffisent amplement à la bonne tenue des morceaux. Minimal, rapide, carré, le style des Komplikations fait mentir leur nom : cette simplicité-là a la force de l’évidence.

Mais le groupe a un autre atout : son chanteur, Alen. Sur scène, il apparaît en bretelles, pantalons larges, Doc Martens et cheveux courts. De carrure confortable, il évoque un travailleur dans le bâtiment qui ferait du free-fight le week-end : on nous dit qu’il a été boxeur professionnel, et ce n’est pas étonnant. Sa voix est criarde, directive, et, pour une raison inconnue, il chante dans un anglais d’Angleterre assez fidèle, donnant l’impression que l’on a téléporté un groupe de l’East London dans un décorum technoïde, ce qui est, étrangement, du plus bel effet. Et le synth-punk de regagner avec Komplikations ce petit cachet prolo qui lui manque parfois, quand il s’affiche chez Agnès b. ou chez Moune. A l’heure où les Anglais s’amourachent des Sleaford Mods, les working-class heroes du moment, qui semblent les derniers rejetons d’une lignée populaire qui alimente tous les fantasmes, peut-être a-t-on trouvé les nôtres en la personne des Komplikations, vrais punks doués qui jouent précisément ce qu’ils doivent jouer, et pas autre chose.

 

©Photo : Joonu