Köhn (« lapin » en flamand) donne des verges pour se faire battre. Au milieu d’une production musicale électronique si foisonnante qu’elle en devient indigeste, Jürgen de Blonde -de son vrai nom- choisit d’en rajouter une couche, en sortant un double album, Koen, réunissant rien moins que 27 morceaux. Köhn aurait-il attrapé la mixomatose ?! Saugrenue, l’idée d’un si long album est surtout culottée. Peu de disques de cette nature échappent en effet aux travers de leur format : bavards, dispersés, hétérogènes. Comme lorsqu’on parle à des ventres mous, on les écoute distraitement, lassé de leur absence de caractère et de partis-pris.

Mais c’est faire fausse route que d’imaginer Köhn manquant de convictions esthétiques (et d’humour : le choix des titres est un régal). Bavard, Koen l’est à l’évidence : quelques morceaux, inutilement longs ou sans intérêt musical évident (surtout sur le CD2), filent entre nos oreilles comme une logorrhée que l’on relègue immédiatement aux oubliettes. Mais autour de ces interstices, Koen nous dit des choses très intéressantes. Dans un tohu-bohu irrespectueux de toute règle d’énonciation ou de montage, des idées géniales se bousculent au portillon. Imaginées par quelque cerveau détraqué, elles « se matérialisent » pour ainsi dire en des flux sonores abstraits, en des paysages intérieurs, délavés et éphémères, où le drone a la part belle.

Lorsque Köhn croise laptop et instruments (comme pour nous rappeler sa culture pop-rock), ses mariages ne sont pas toujours heureux (Au ville Köhn). Pourtant, en guise d’ouverture, Twal siree place la barre très haut : en un subtil mélange de fragilité et de puissance, une lame de fond vient noyer des balbutiements de guitare acoustique, une phrase malade de piano. Honteusement brillant ! C’est cette même lame de fond qui, en balayant plusieurs morceaux (Sankt-almost, Niplöhn, dedzu !), produit ce sentiment de submersion troublant qu’on associe plus que tout au projet de Köhn. Parfois « absente », prisonnière d’images écornées du passé, la musique de Koen évoque comme celle de Pimmon ou de Fennesz, cette mélancolie qu’inspire la conscience du temps qui s’échappe (Nigewöhne). Dans la même veine, Döhre rappelle par ailleurs les premiers travaux pour clavier de Philip Glass ou l’utilisation du déphasage par Steve Reich : des motifs résultants naissent de la rencontre entre la pluie de timbres et de clochettes et le motif de basse passé en boucle, sur fond de bourdons.

Reste donc ce deuxième CD, encombrant et comme épargné par l’inspiration. Essoufflées, les compositions sont décevantes en ce que d’une part, elles s’éternisent inutilement (Mendelssöhn) -au moment même où l’attention de l’auditeur commence à fléchir- ; et en ce que d’autre part, elles montrent plus souvent qu’elles ne suggèrent. Zwähftähf sonne ainsi comme une illustration du Soon de My Bloody Valentine. Monté sur infra-basses et bruit blanc, Föhnen, trop pataud pour jamais enthousiasmer, évoque sans l’égaler Cyclo. Klörgöhr partage les mêmes fantasmes de plages de sable doré du Caecilia de Fennesz (Fennesz qui semble parfois vampiriser la musique de Köhn). On retiendra de ce petit gâchis, la voix de Jürgen de Blonde sur Öhrosong, petite merveille de pop-folk.

Aussi, en dépit d’admirables coups d’éclat, Koen réussit-il partiellement à transformer l’essai. Contrairement à (Köhn)², son précédent album, où les idées a priori les plus incompatibles qui soient (une fanfare et un drone en saturation par exemple) s’enchevêtraient au sein de mêmes morceaux, Jürgen de Blonde semble avoir parcellisé l’éventail de ses idées larges pour les faire éclore en des morceaux juxtaposés -même si certains thèmes réapparaissent comme des échos par-ci par-là le long de l’album. Moins cohérent, le résultat ressemble ainsi davantage à une compilation, ce qu’amplifie encore le choix du format double.