Certes, Joshua « Kit » Clayton évolue a priori dans un genre voué à l’exploitation de recettes éprouvées et qui fait un peu office de tarte à la crème de l’electronica en ce moment (ce « digidub » enfanté par Pole et qui puise autant dans la techno façon Chain Reaction que dans le dub de Lee Perry ou l’école post-digitale façon Mego). Mais au milieu de la masse, l’américain a toujours brillé avec éclat et fait preuve d’une intégrité artistique sans faille au gré de disques difficiles mais aussi très beaux (4Mod3, sorti sur Phtalo, ou le récent Latke, sur sa propre structure Orthnlog Musork).

Sa version expressionniste et expérimentale du dub électronique franchit aujourd’hui une étape décisive de sa mutation, en se libérant des carcans structuraux et soniques qui le caractérisaient encore sur le fabuleux Nek sanalet. En sept plages sans-titre enchaînées en un long morceau de 38 minutes, originellement conçu pour le format vinyle, Kit Clayton réinvente donc totalement son art.

Suivant un principe assez simple -l’investigation minutieuse de textures sonores accidentées et a fortiori passionnantes-, l’américain éclate les rythmes et les schémas mélodiques et les étire au maximum pour les éloigner le plus possible de tout tronc rythmique linéaire et binaire et les rendre le plus sablonneux possible. Tous les sons semblent émerger d’une sorte de soupe primordiale boueuse mais incroyablement vivante et vivace, où remuent des infrabasses chaotiques et chaleureuses (« 1 ») qui finissent par faire naître des remous mélodiques à force de s’entrechoquer (« 2 »). Puis un semblant de pulsation rythmique évoquant un lointain mais lancinant groove aquatique naît un instant (« 3 ») et disparaît presque aussitôt dans un vaste espace ambiant glacé et minimal sur lequel peinent à survivre quelques micro-sons épars (« 4″‘). Commence alors une formidable investigation du silence, à la manière de la musique concrète ultraminimale de Bernhard Günter, d’où émerge à peine de minuscules infrasons et des sons naturels dont on a à peine à distinguer s’ils sont réels ou recréés informatiquement (« 5 »). Enfin, quelques accords très caractéristiques se mettent à résonner dans cet espace imaginaire, tout résonnant d’une tristesse abyssale (« 6 »), et l’aventure se clôt sur un final plus classique, mais imbibé des aventures qui l’ont précédé. Le silence final en devient abasourdissant.

Qu’on se le dise : la manière dont l’américain s’empare de ses « forces alternatives » et de ses techniques de traverse pour déstructurer puis structurer sa musique est l’une des plus pertinentes explorations électroniques actuelles. Et le résultat est beau à pleurer.