« All titles composed by Kenny Werner », avertit la pochette de ce Beat degeneration sur lequel se seront déjà précipités les heureux possesseurs de Form and fantasy, premier volet des trois concerts captés par le trio du pianiste américain au Sunside de Paris, en novembre 2000. On avait voyagé sur des reprises de Clapton, Hancock ou -mémorables instants- Jean-Sébastien Bach (!) ; on reprendra la route avec sept partitions de la main du pianiste, amenées à la vie avec toute la grâce que l’on sait par l’un des trios les plus palpitants de la scène contemporaine : Johannes Weidenmueller (contrebasse) et l’incontournable et omniprésent Ari Hoenig (batterie) aux côtés d’un pianiste dont l’aisance technique (quelques passages proprement remarquables pour toute oreille avisée) n’a d’égale que l’inspiration. Si la lumineuse évidence des thèmes du précédent album éclatait immédiatement dès leurs premières mesures, il faudra ici se concentrer un peu pour apprécier la richesse et l’invention permanente d’un jeu collectif où les interventions des partenaires du compositeur altèrent et font sans cesse évoluer ses idées.

Il y a là-dedans quelques définitions du swing, un va-et-vient ininterrompu d’initiatives rythmiques et de réponses réciproques, un art consommé de la citation (les accords de In a silent way repérés ici et là), une propension à la complexité qui sollicitera toute l’attention de l’auditeur sans pour autant le priver des moments d’abandon et de méditation que peuvent être l’introduction de Trio imitation ou l’étonnant Guru (dédicacé au français Claude Carrière). Avec, par surcroît, l’urgence et la griserie du jeu en public et sans filet, sous le regard attentif d’un public discret et chanceux. On peut préférer le premier volet de ce Live at the Sunside pour la variété des propositions et la surprise du répertoire ; l’idéal étant finalement de passer de l’un à l’autre au hasard d’une programmation aléatoire, et de goûter tour à tour l’euphorie fantaisiste d’une relecture de Bach et la densité abstraite d’une composition originale. Intenses, divers, parfois difficiles, toujours séduisants : le genre de disques dont on n’épuise pas facilement les richesses.