Julie Doiron est incontestablement une des plus belles voix de la musique rock actuelle. Loin devant les hurleuses indie qu’on ne citera même pas et juste à côté des diamants de la folk d’aujourd’hui : Cat Power, Edith Frost ou Emma Niblett, qui ont comme elle conscience exacerbée de leurs textures, de leurs grains, de l’émotivité que ces caractéristiques physico-acoustiques ajoutent à leur talent. Julie Doiron chante divinement, doucement, à la limite de la rupture, sur une chaise en bois qui craque, dans la même pièce que vous. Elle laisse traîner les syllabes, les module délicatement, guidée par quelques arpèges de guitare. Raconte des histoires sentimentales, souvent automnales, d’une voix émotive qui se brise parfois. Les 5 chansons présentes sur ce split-single chez Acuarela donnent une vision intimiste et chaleureuse du grand talent de la petite Julie : enregistrées live à la maison « les soirs et les matins, avec l’aide de ma famille et de mon minidisc », elles sont un beau témoignage de la regrettée qualité sonore des premiers appareils minidiscs (la norme de compression s’étant révélée un peu trop parfaite pour les lobbyistes culturels) en même temps qu’un document bienveillant sur l’atmosphère confinée et chaleureuse de la vie de famille d’une songwriter canadienne. On imagine Julie s’attabler, brancher le minidisc, prendre la guitare et commencer à chanter, quand les enfants dorment et que le mari prend sa douche. Et en écoutant ses paroles, on imagine plein d’autres histoires, très touchantes. Ne ratez pas les albums de Julie Doiron, si vous voulez en imaginer plus. Certains sont même en français. Julie Doiron est le parfait contraire de Celine Dion.

Sur ce split single hispanique, on trouve donc également quatre titres du groupe texan Okkervil River, qui souffre un peu de la comparaison avec la douce Julie, sur quatre titres un brin lourdauds de folk-rock américain. Remarquablement prévisibles, ces rengaines s’inspirent évidemment de l’axe Neil Young / Will Oldham / Jason Molina, mais sans nuances ni originalité. A sa décharge, le groupe de Will Sheff s’en sort mieux sur son premier véritable album, paru sur Jagjaguwar. Down the river of golden dreams, malgré sa pochette affreuse et ses clichés d’indie folk, offre quelques beaux moments, bizarrement les plus acoustiques (For the enemy). Peut-être est-ce là un jugement subjectif : il pleut aujourd’hui sur Paris, et les chansons douces de Julie Doiron passent mieux chez moi que le classic-rock de Okkervil… Mais quand même, malgré de très beaux orgues (Wurlitzer et Rhodes sont magnifiés par la production de Scott Solter – Mountain Goats, John Vanderslice, Tarentel…), les chansons laissent à désirer : emphatiques, aux arrangements redondants qui s’empilent et dramatisent tout. Plus Jacques Brel que Nick Cave, sans l’organe approprié, les pires moments sonnant comme du mauvais Pulp, les meilleurs comme du mauvais Songs Ohia. Pas si mal ceci dit.