Guitares saturées, feu d’artifices de cymbales, basse profonde et lignes mélodiques tendues jusqu’à la rupture par un Chris Speed impeccable : Habyor, deuxième opus du groupe AlasNoAxis formé par le batteur Jim Black dans les années 1990, fait sérieusement pencher la balance du côté du rock, mêlant adroitement l’énergie brute de l’électricité et la redoutable efficacité de morceaux bâtis comme des chansons pop à la subtilité du jazz et des musiques d’avant-garde dans un brouet qui agit comme un uppercut. Black et ses acolytes, Speed, Hilmar Jensson (guitares) et Skúli Sverrisson (basse), semblent avoir trouvé le centre de gravité parfait entre rock et avant-jazz, Seattle et New York, brouillant les repères au point qu’on ne sait plus parfois si on écoute un album enregistré près de la Knitting Factory et perturbé par l’irruption sauvage d’un groupe d’excités électriques aux cheveux sales ou une galette bricolée dans un garage et soudainement prise en main par une bande de visionnaires cérébraux aux idées larges. Derrière l’apparente simplicité de schémas directeurs directement puisés dans le rock (gros son, atmosphères sombres et inquiètes, groove imparable du maître d’oeuvre), l’oreille attentive relèvera la remarquable complexité des arrangements et l’espace qu’ils ménagent à l’improvisation, ouvrant à Chris Speed (lequel, outre le saxophone, recourt également à la clarinette, au Wurlitzer et à l’accordéon) les champs de solos palpitants. Les zones de calme (relatif) succèdent aux épisodes de folie électrique, les univers sonores se succèdent par blocs impressionnants dans un patchwork de bout en bout passionnant, jusqu’à la dissolution finale dans un océan bruitiste parfaitement renversant. Inutile d’en dire plus : Habyor est à tous points de vue l’une des réalisations les plus abouties et originales de Jim Black, et sans aucun doute l’un des disques les plus inclassablement fascinants de l’année.