On sait que l’esprit saint s’est abattu sur Low de manière assez efficace pour les avoir fait durer plus d’une demi-douzaine d’albums -que le plus gracieux est sûrement celui qui vient de sortir. Ce qu’on ne savait pas c’est que ce talent était plus ou moins contagieux pour peu que l’on sache s’éloigner un peu des amis encombrants. Voilà Jessica Bailiff, la vieille copine qui prend les photos officielles et tient la chandelle du groupe de Duluth, qui réussit son troisième album au delà de toutes espérances parce que justement, Alan Sparhawk des dits Low n’est plus derrière elle -soit produisant, soit jouant dans ses disques. On l’avait découvert lors de ses deux premiers albums, tentant ce mélange parfois réussi de mélodies pop jouées à la guitare electro-acoustique, de sons de guitares un peu gras, de chutes de tension, de petits bouts de sons pas entendus ailleurs. Le problème c’était elle. Pas d’envergure, sorte d’Edith Frost pré pubère, elle avait le charme d’une Jessica de série télé. Elle a changé.

Elle a certes toujours sa voix pleine de sucre, elle vocalise toujours tristement devant son micro, mais elle a pris du style, elle sait maintenant écrire des chansons étranges, et se hisser au dessus de tout ça grâce à quelques artifices et échos dus à une production intelligente. Hour of the trace, second titre de l’album est tout simplement génial. Une mélodie qui sonne comme une ritournelle de jardins d’enfant est surlignée par un harmonica d’acier, des gentilles flûtes à bec et des gros tam-tams grondent à l’horizon. La grâce lui est tombée sur les épaules, la robe blanche de bab’ aussi -elle se croit à Stonehenge et c’est tant mieux. Le reste de ses titres recèle autant de surprises -voir les laminoirs de Disapear, l’extraordinaire descente de Time is an echo, les sitars de Hiding place qui illuminent une autre ritournelle…

On se rend compte que, depuis ses débuts, Jessica Bailiff aura toujours confondu folk songs avec mélodies pour gamins. Mais un peu comme un Peter Pan qui devient glauque avec les années, à force de refuser de vieillir, Jessica se transforme album après album en une sorte de personnage double. Malgré les sourires et l’apparente douceur, Jessica Bailiff distille un sacré poison, un talent sourd, des mélodies brillantes qui rendent son disque digne de figurer sur la même étagère que tous les His Name is Alive, Low et Mazzy Star de la planète.