Ce disque est sorti depuis longtemps mais j’ai préféré attendre avant d’en parler, de peur de succomber à toute violence acerbe et déplacée. Ce disque avait déclenché chez moi un rejet doublé d’une indifférence la plus dédaigneuse. Toute polémique cessante, le mois de juillet est un bon mois pour se replonger dans quelques disques un peu trop vite écoutés. Voici donc Fazil Say ou plutôt le dernier album de Bach par Fazil Say. En effet, la présentation du disque rappelle plus la pochette d’un album de quelque chanteur pop que celle d’un disque classique. J’entends déjà des cris s’élever et me reprocher mon élitisme musical, mon mépris pour le grand public (c’est qui au fait ?). Peut-être certains se sont-ils déjà procurés ce disque et l’aiment, auquel cas ne voyez rien ici de méprisant de ma part, mais tout simplement un avis qui vaut le vôtre.
Cependant, pour les autres, je me dois de préciser un peu les choses. Fazil Say est un jeune pianiste turc qui remplit les salles comme personne, qui émeut les auditeurs et qui compose de nouvelles variations (très jazzy) sur A vous dirai-je maman de Mozart. Bref, c’est un phénomène (vous avez dit français ?). C’est surtout celui qui décoince les classiques, qui réinvente la musique, qui est « capable » de faire aimer Bach, Mozart à tout le monde (n’y a-t-il pas plus de mépris dans cette attitude ?). Le seul problème est de savoir si cela est bien fait.

Qu’il ne se soucie pas de jouer Bach comme on le joue au clavecin est un choix qui se défend. Clairement, il se place dans l’héritage des Liszt, Busoni qui ont adapté Bach au piano, l’ont transformé, l’ont vénéré tout en modifiant ce qu’il avait écrit. Pour autant la Chaconne et le Prélude et fugue sont des œuvres datées historiquement qui méritent un intérêt. Hélas, Say joue avec lourdeur, utilise la pédale comme pour mieux en accentuer le caractère pianistique. On aimerait entendre de l’orgue mais il faut admettre que Say ne possède en rien le toucher et la finesse nécessaires pour rendre à ces pièces leur romantisme mystique. Son soi-disant refus de toute virtuosité le dessert plus qu’autre chose.

S’en sort-il mieux dans Bach ? Pas vraiment. S’est-il demandé ce qu’était une gavotte, une gigue, un menuet ? A l’entendre, non. Il a tendance à entartrer ces œuvres plutôt qu’à les dépoussiérer, comme certains le prétendre. De la Suite française, il ne reste que le nom. Le Prélude et fugue du Livre 1 du Clavier bien tempéré est interprété (c’est un grand mot !) dans la seule idée de faire de l’effet. (c’est la fin du disque : « L’auditeur n’a qu’une seule envie, remettre au début » doit être le but recherché !). Enfin le Concerto italien est saccagé. Est-il possible de ne ménager aucune surprise dans cette œuvre ? Dire que son jeu est gratuit, téléphoné, n’est pas excessif. Ecoutez l’Andante et vous aurez compris. Le seul moyen de tout supporter est de prendre son rubato, ses nuances, ses manières au second degré. Steven Spielberg n’a pas fait mieux avec Jurassic park. En attendant, replongez-vous dans Edwin Fischer, Dinu Lipatti, Scott Ross, Glenn Gould, un bon Samuel Fuller et tout ira mieux.

* Suite française n°6 BWV 817 en mi majeur,
Concerto italien BWV 971, Prélude et fugue n°1 BWV 846 en ut majeur
(extrait du Clavier bien tempéré, Livre 1), Prélude et fugue BWV543
(arrangement Liszt), Chaconne BWV 1004 en ré mineur (arrangement Busoni)