Premier album en leader pour ce contrebassiste tout juste quadragénaire qui, huit années durant, partagea les belles heures du trio de Stéphane Grappelli ; partenaire régulier ou occasionnel de Marc Ducret, Kenny Wheeler ou Lee Konitz, il est aussi l’un des pères fondateurs de l’Orchestre de contrebasses et a participé à cinq de ses enregistrements. Son brillant parcours sur une scène musicale qu’il fréquente en professionnel depuis presque vingt-cinq ans n’aura cependant pas tout à fait propulsé ce remarquable instrumentiste parmi les plus en vue des représentants de la jeune garde hexagonale : Considérations vient ainsi à point pour l’imposer comme l’une de ses voix les plus sûres et révéler par surcroît un admirable talent de compositeur. C’est avec l’ami Edouard Ferlet, pianiste singulier dont le joyeux Zazimut (avec Médéric Collignon et Christophe Monniot) avait mis en œuvre l’imaginaire tonique et les idées au kilomètre, qu’il a enregistré ce disque séduisant et on ne peut plus convaincant, l’un comme l’autre y proposant des thèmes à l’écriture libre et travaillée : si Viret semble privilégier la complexité des structures et le dynamisme de développements aux cassures et virages surprenants, Ferlet met plus volontiers l’accent sur la construction de climats aux répétitions lancinantes, en plein accord avec les tentations lyriques vers lesquelles le pousse son jeu. De ballades hypnotiques en morceaux rapides parcourus de chausse-trapes rythmiques et de changements d’itinéraires subits, le trio offre une musique du plus haut intérêt, dynamisée par le drumming énergique d’Antoine Banville. La relative discrétion du leader, auquel on doit tout de même quelques beaux passages à l’archet, laisse le champ libre à un Ferlet qui, pour ne pas trahir sa verve proverbiale, préserve dans l’ensemble une certaine mesure. Peut-être touche-t-on là à la seule faiblesse d’un disque aussi enthousiasmant qu’appliqué, qui n’aurait rien perdu à s’autoriser quelques couleurs supplémentaires et deux ou trois taches intempestives.