Bien plus coloré que ses enregistrements précédents, ce nouvel album du pianiste franco-américain aurait pu s’intituler Les Vacances de Monsieur Jacky tellement il reflète la décontraction et le désir de s’amuser de la joyeuse bande qu’on y entend. Sous la houlette de Mino Cinelu -qui pose sur ce disque une patte un peu trop présente (on le croirait co-leader)-, Terrasson nous livre des compositions ensoleillées aux rythmes chaloupés. Un parfum de tropiques plâne sur presque toutes les plages (celles du disque) où le pianiste se délecte d’une spontanéité rafraîchissante comme s’il ressentait le besoin vital de s’octroyer une bouffée d’oxygène au milieu des buildings de Manhattan.
Jouant volontiers en retrait (Toot-Toot’s tune, Better world), il recharge ses batteries pour mieux déverser son jeu torrentiel quand il lui plaît. Même lorsqu’il frôle la mièvrerie (Little red ribbon), son talent lui évite la médiocrité et il sait toujours rétablir la balance avec délicatesse et piquant quand les chabadas de Cinelu commencent à agacer (Le Roi Basil). Décidé à se faire plaisir avant tout, il reprend le Money des Pink Floyd à la sauce Sergio Leone, à grands renforts d’harmonica et d’ambiance de saloon où pièces et bouteilles tintent à l’unisson sur le comptoir. La reprise de Baby plum (déjà présent sur son album Reach) est suavement cocktailifiée et l’on sent le sable chaud nous caresser les orteils. Sucré mais agréable.
Quant au Jacky Terrasson véloce et fin rythmicien qu’on connaissait, il revient nous dire bonjour sur What’s wrong with you ! (emblématique de la place du morceau sur l’album) où il malmène son piano comme un possédé tandis que Michael Brecker déploie une fois encore tout son talent. Si vos pieds ne bougent pas, soit vous êtes sourd, soit vous êtes mort…

Et pour nous prouver que détente et recherche peuvent aller de pair, toute l’équipe s’attelle au Boléro de Ravel, traité en périple fantasmatique d’abord dépossédé de sa rythmique originelle pour un jeu de tablas décalé. Puis la reverb’ assourdissante du Fender Rhodes précède une lecture des 1001 nuits au hautbois avant de retrouver les sources du chef-d’œuvre classique et ses roulements de tambour martiaux.
Surprenant de désinvolture, What it is est un disque sans prétention plutôt réjouissant, et qui se déguste avec le même plaisir qu’un rosé bien frais lors d’un dîner d’été.

Jacky Terrasson (p, Fender Rhodes, Wurlitzer, chekere), Mino Cinelu (dms, perc, g), Ugonna Okegwo (b), Fernando Saunders (elb), Adam Rogers (g), Rick Centalonza (fl), Jaz Sawyer (dms), Richard Bona (elb), Xiomara Laugart (voc), Jay Collins (fl), Grégoire Maret (harm), Michael Brecker (ts)
Enregistré du 16 au 27 novembre 1998 à New York