Selon l’IFOP, 9 des 10 albums les plus vendus en France en 1999 étaient français, tandis qu’en Pologne le disque de Jean-Paul II a fait un tabac-surprise, et que chez les Anglais les teen bands (et Abba !) ont régné. La mondialisation a donc ses limites, et c’est ainsi qu’aux Etats-Unis la country-music a une place unique, avec ses stars, ses médias et ses ventes qui bousculent souvent celles de la pop et brouillent des frontières qui à une époque lointaine n’existaient pas entre les deux. Lorsqu’en 1989 Amy Ray et Emily Saliers, duo folk-rock depuis 1985, sortent leur premier album Indigo girls sur une major, elles bénéficient du succès de Suzanne Vega, de Tracy Chapman ou des Cowboy Junkies, dont les albums dépouillés ont déjà ouvert quelques portes. Porté par le tube Closer to fine, le leur remporte le Grammy du Best folk recording de l’année. Elles en ont depuis sorti sept autres aux arrangements variés, cumulant sept millions de ventes en dix ans bien que certains (comme celui-ci) n’aient jamais été distribués en France.

De fortes chansons à dominante acoustique (guitares, violon, mandoline) et des voix qui font chœur ou se tournent autour (Simon & Garfunkel, Fleetwood Mac), voilà leur musique, pas révolutionnaire mais aux racines profondes, qui les place aux côtés de Tom Petty, Lucinda Williams, Elliott Smith, John Mellencamp ou Pooka. Elles ont d’ailleurs collaboré avec REM (de Géorgie comme elles), Lisa Germano ou Steve Earle, et participé à quelques tribute albums bien choisis : Grateful Dead, Vic Chesnutt, Pete Seeger ou The Clash. Elles ont cette fois embauché John Reynolds (ex-batteur et compagnon de Sinead O’Connor) à la production, et invité Sheryl Crow, Joan Osborne, Kate Schellenbach (Luscious Jackson) et Me’Shell Ndegeocello, rencontrées au cours de trois tournées Lilith Fair, festival itinérant exclusivement féminin. Le résultat est très plaisant, pas aussi inventif que leur Rites of passage de 1992, mais bien meilleur que Shaming of the sun, paru en 1997, grâce à leur chant épanoui, somptueusement grave (Sister) ou rayonnant (We are together, un vrai baume), et quelques refrains qui restent obstinément en tête.

Des paroles mêlant thèmes personnels (Andy) et sociaux (Faye Tucker, dédié à cette « born again christian » repentie qui fut exécutée au Texas en 1998, quinze ans après son crime) montrent que leur physique rude à la « Bonnie Tyler grunge » et leur style faussement plouc cachent une grande palette d’émotions. Ca et leur militantisme forcené (pro-gay, pro-nature, anti-armes) les associent fortement à Ani Di Franco, figure majeure de la scène folk underground, elle aussi devenue très populaire. Autre point commun : d’incessantes tournées et concerts caritatifs, pour des performances qui sont de véritables communions avec leurs fans dévouées (public à 80 % féminin et américain, même à Paris, j’ai testé), impressionnantes démonstrations de leur impact. Activistes, elles gardent la tête sur les épaules et leurs priorités en tête, comme l’illustre Go, le morceau d’ouverture de ce Come on now social : « Rock is cool but the struggle is better. » Et même pour ceux qui ne s’embarrassent pas des paroles, leur rock est effectivement très cool.