Et maintenant mesdames, mesdemoiselles, messieurs, un peu d’ultra-violence. Depuis combien de temps vous êtes-vous enfermé dans ce hangar ? Vous tremblez encore. Les mains gluantes du sang de ces… ces… êtres qui voulaient vous… ah… et que vous avez dû… avec cette tronçonneuse, volée dans un supermarché de bricolage désert. D’ailleurs vous n’avez vu personne d’autre, dehors. Personne d’autre, hormis ces… monstres, qui ressemblent pourtant tellement à des êtres humains, tant qu’on ne les pas approchés… qui ressemblent même parfois à des êtres que l’on a connus… qui… tout à coup, vous apercevez une radio, à demi cachée derrière une pile de papier sur un bureau. Peut-être que d’autres que vous sont encore vivants ? Peut-être que les autorités ont prévu quelque chose ? Une émission spéciale ? Vous appuyez sur le bouton « on », et la musique emplit l’espace.

Immédiatement, vous vous rendez compte que vous n’auriez pas dû. Ce n’est pas la voix des autorités que vous entendez. Ce n’est pas la musique des autorités qui accompagne cette voix. Les autorités n’auraient jamais utilisé un blanc-bec de Brooklyn, fasciné par la pornographie, le cinéma gore et les conspirations comme porte-parole. Les autorités n’ont jamais eu comme potes d’autres blancs-becs, eux aussi habillés de noir, affublés de pseudonymes aussi peu engageants que Necro ou Mr. Hyde, avec lesquels elles organiseraient des freestyles sur la mort (You’re dead), les zombies (Circle of tyrants) ou les pipes faites dans les chiottes des salles de concert par des salopes accros au crack (PF cuttin freestyle II). Les autorités n’ont jamais célébré les vertus gothiques du hip-hop (Gangsta-rap, qui mérite bien son titre, même s’il n’a rien à voir avec du G-Funk -à moins que cela ne soit précisément à cause de cela), ni la joie sadique de dégommer des flics (How to kill a cop, introduit sur le Blowout freestyle par une accumulation de samples cinématographiques ponctués de fuck ! et de I’m gonna shoot you in the face !). Non, ces histoires sorties toutes entières des coins les plus fangeux de nos cités ne peuvent venir du pouvoir, de ceux qui sont chargés de veiller à notre sécurité, physique et morale. D’ailleurs, ceux qui sont chargés de veiller à notre sécurité, physique et morale, ne viennent pas d’East NY, ni de Flatbush (salués à la fin du PF cuttin freestyle I).

Et la musique des autorités n’est certainement pas cet enchaînement ininterrompu de breakbeats abrasifs, ces scratches épars tranchants comme des lames, ces samples de films du samedi minuit, ces mélodies qui semblent faites pour précéder une séance d’exécution. Les autorités ne font pas des albums comme on fait une mixtape. Les autorités n’y auraient pas invité les Beatnuts, leurs bouteilles de 40 onces et leur funk crépusculaire, ni même El-Producto (même si, depuis les impeccables Def Jux presents volume 1 et Cannibal Ox, ses talents de producteurs sans concession se sont bien érodés).

Et vous vous rendez compte que vous êtes seul. Vous êtes seul et votre avenir s’arrête ici, dans ce hangar, car cette musique est le futur, et vous n’en faites pas partie. If you like Ill Bill / You can suck my dick / If you like Non-Phixion / You can suck my dick / If you like Uncle Howie / You Can suck my dick, rappe la voix dans la radio. C’est la dernière chose que vous entendez lorsque, le canon dans la bouche, vous appuyez sur la gâchette de votre revolver. How many Mcs must get killed / Before somebody says don’t fuck with Bill ? (in Who’s the best ?)

Dommage que vous n’ayez pas compris que, en plus, Ill Bill is the future est un disque drôle. Aussi drôle que les premiers albums des Geto Boys (réécoutez We can’t be stopped, et vous comprendrez). Reprenant la plupart des sorties indépendantes du gaillard depuis 1996, mélangées avec des freestyles énervés, cette compilation, mixée discrètement mais sûrement par Dj Eclipse, est encore le meilleur moyen de patienter avant le véritable nouvel album solo du leader des Non-Phixion. Vous avez été déçu par le LP de Cage ? Alors écoutez Ill Bill is the future.