Que penser de L’Histoire du soldat en 1999 ? Que nous dit ce petit bonhomme qui rentre de la guerre, qui erre, et qui vient et va n’importe où, rencontre n’importe qui ? Il est de partout ce bonhomme, et bien sûr, il n’a pas d’époque. Résumons : « Un soldat rentre chez lui, seul, avec son violon. Sur le chemin, il rencontre le diable, qui en échange de son violon, lui donne un livre plein de promesses. Les promesses se réalisent, et le soldat fait fortune mais il se sent de plus en plus seul. Il parvient à reprendre le violon au diable, et reçoit en récompense la princesse qu’il a guérie en jouant. Mais le diable avertit le soldat qu’il ne reverra pas son village. Nostalgique, le soldat reprend la route et alors qu’il arrive chez lui, il est entraîné par le diable en enfer ». Ramuz, redécouvert au théâtre ces dernières années, a ficelé une histoire bien sombre avec la complicité de Stravinsky. On ne pouvait attendre autre chose, en 1918, de la part de tels révolutionnaires. Stravinsky, en 1918, était célèbre. Il avait déjà connu la gloire avec Petrouchka, et L’Oiseau de feu. Il avait même imaginé pour le théâtre d’avant guerre la plus grosse machine orchestrale : Le Sacre du Printemps (au moins cent instrumentistes requis). Un monstre de violence, une révolution absolue, le retour du paganisme !

Quatre ans plus tard, alors que l’on aurait pu croire à la surenchère, il vise l’économie : un drame écrit pour huit musiciens, proche de la formation de jazz. Essentiel. Un drame avec un récitant et quelques acteurs. Une heure de théâtre, d’atrocité faite de petites mélodies faussement banales, presque clownesques, implacables. Un opéra où on ne chante pas, conçu pour être joué dans les salles de village. Tout bêtement génial.
Mais que penser de la version du Nothern Chamber Orchestra disponible aujourd’hui ? Que nous évoque cette errance under control ? Difficile de ne pas penser à l’actualité, difficile d’échapper aux thèmes -pas très fun- qui ont occupé les hommes en 1918. Stravinsky n’offre pas de réponse, il souligne les contradictions ; et même en version anglaise, nous n’avons aucun mal à saisir la portée du propos.
Le concerto Dumbarton Oaks complète ce programme avec une précision exemplaire. A la manière d’un Jean Sébastien Bach désabusé. Et nous avec.