C’est un problème avec Iggy : celui qui fut l’un des plus subversifs performers a paradoxalement engendré un consensus sans précédent. On aime Iggy, parce que Iggy est adorable au sens propre comme au figuré. En conséquence de quoi, on aime aimer ses disques. Ce sont donc de vibrants arpèges de dithyrambes qui accompagnent chaque nouvelle sortie de James Osterberg. Dire qu’un disque d’Iggy Pop est seulement décevant passe désormais pour du révisionnisme. Mais ces critiques voyant en lui le père idéal, et ces fans le grand frère de rêve, négligent pourtant couramment de se rappeler un fait qui se pose là : personne, absolument personne, ne réécoute un album d’Iggy plus de six mois après sa sortie, et ce depuis 1979. La raison en est simple : Iggy Pop est incapable de composer. Les morceaux les plus construits des Stooges (ceux de Raw power) étaient co-signés avec James Williamson, et ses deux meilleurs albums solo –The Idiot et Lust for life– étaient des suites de morceaux écrits par Bowie, l’Ig se contentant de leur trouver des textes. Même la suite d’accords de The Passenger, musicien de passage…

Les disques, donc, se suivent et ne se ressemblent pas, ce qui est assez dérangeant de la part d’un artiste pour qui la comparaison avec Bowie restera toujours incontournable. Parce que lorsque l’Anglais passe de Heroes à Lodger et à Scary monsters, Iggy, lui, enchaîne Lust for life et New values aux pathétiques Soldier et Party. On l’a vu métal, commercial, FM, post grunge, ou néo-stooge tournant avec un groupe de lourdauds bourrins seventies à effrayer Lenny Kravitz en personne. On annonçait cette fois-ci un Avenue B de crooner sous intraveineuse Sinatra… Ce qui aurait été passionnant, l’iguane, lorsque il décide de se payer ce luxe -trop rarement-, possédant un organe qui décolle littéralement dans les graves. C’est d’ailleurs sur de médiocres albums qu’on l’a entendu briller dans ce registre : Pumping for Jill sur Party, Winners and loosers ou Cry for love sur Blah blah blah, ou cette infernale reprise du Did you evah de Nat King Cole en duo avec Debbie Harry montraient allègrement le potentiel d’Iggy dans les infra-basses et les intonations séductrices. Hélas, Avenue B est une collection de sous-compositions parfaitement anodines, trempées dans le synthé et enrobées de paroles ineptes (les consternants Ya yo habla espanol, Nazi girlfriend, ou Miss Argentina). On y trouve même une reprise du classique rock and roll Shakin’ all over, marronnier de tous les groupes garage du monde, du Texas au Burkina Faso, ceci, quelques années à peine après sa version de Louie Louie. Qu’attendre sur le prochain ? 96 Tears ? Ou carrément No fun ? Entre l’auto-parodie stoogienne (Corruption) et les ballades quelconques qui ne sont même pas remarquablement chantées (un comble pour lui), cette Avenue B, faisant suite au pitoyable Naughty little doggy -probablement le pire album de sa carrière-, ne contribue pas à remettre l’iguane sur le devant de la scène. Peut-être serait-il temps de rappeler à la rescousse son premier fan anglais… En attendant, autant se remettre Zombie birdhouse, peut-être son seul chef-d’oeuvre, expérimental, brave et aventureux, réalisé presque seul.