C’est comme une litanie de crimes et de morts, de cris et de larmes qui vient tous les jours d’Algérie jusqu’à nous. Un long chant civil et funèbre, écho des deuils connus par les musiques de cet immense pays, de l’Oranais du raï -Cheb Hasni- à la Kabylie berbérophone de Lounès Matoub, disparu il y a eu trois ans le 25 juin. On n’oubliera jamais. Mais la voix de Houria Aïchi dans ce recueil de Chants sacrés d’Algérie est comme un oasis dans la guerre.

Née dans les Aurès, arides montagnes à la porte du Sahara, Houria Aïchi est la descendante d’une lignée d’azriates, ces femmes troubadours qui allaient de village en village à l’occasion de fêtes et de cérémonies. Quand « chanter fait partie de la vie, de l’éducation des filles », c’est une vie qui s’ouvre à elle, qui se retrouve dépositaire des traditions orales de ces vallées perdues. Son premier album, Chant de l’Aurès, en 1990, consignera ces chants et textes. Il la propulsera ambassadrice de son peuple chaoui, et fera d’elle, plus encore, une voix de paix dans l’Algérie martyre.

C’est d’une invitation au Festival des Musiques sacrées de Fès qu’est née l’idée d’un album de chants sacrés. Houria Aïchi s’est alors lancée dans une véritable « chasse au trésor » avec la volonté de couvrir l’éventail géographique, culturel et traditionnel de cet immense pays : ainsi, les chants proviennent de l’Ouest algérien, des Aurès, du Gourara (Sahara algérien) ou encore de Kabylie. Cependant ce travail de collecte n’a pas été entrepris dans un simple esprit ethno-musicologique, mais bel et bien afin de donner libre cours à la création artistique. C’est pourquoi Houria Aïchi a fait appel pour les arrangements à Henri Agnel, compositeur français œcuménique, qui donne une dimension cosmopolite aux mélodies interprétées de manière toute personnelle par Houria Aïchi. Chaude ou cristalline, fluide ou âpre comme les montagnes de son enfance, la voix de Aïchi passe des dhikrs et autres thèmes des confréries soufies, Khalwa, à une interprétation libre de l’Ahellil des oasis du Sud algérien. Les musiciens invités pour ce prestigieux tour d’horizon des musiques sacrées d’Algérie bénéficient de la même liberté : l’éclectique Loy Ehrlich laisse sa kora coller aux mélodies, alors qu’il emprunte quelques chemins de traverse au Hajouj, le percussionniste iranien Bijane Chemirani soutient énergiquement les morceaux de Khalwa, alternant daf persan et oudou, alors qu’en maître d’œuvre, Henri Agnel joue rebec, lotar et bendir, ces cordes pincées dont il est spécialiste.

Khalwa, La retraite spirituelle, atteint ce but si cher à Houria Aïchi : faire un disque en faveur « d’un Islam de Réconciliation et de Paix », grâce à une ouverture culturelle respectueuse des traditions. C’est en partie pour ce combat-là qu’elle fait partie, depuis sa création, du projet Les Voix de la Paix, créé sur l’initiative de la fondation Yehudi Menuhin.

Pas de concert des Voix de la Paix programmé en Algérie. Et pour cause.

Houria Aïchi, chant, bendir ; Henri Agnel, rebec, lotar, bendir ; Bijane Chemirani, daf, bendir, oudou ; Saïd Nissia, gasba, ghaïta, cornemuse algérienne ; Henri Tournier, flûte bansouri, flûte octobasse, petite flûte ; Loy Ehrlich, hajouj, awicha, kora ; T. Bechiri, A. El Hassak, S. Hamad, A. Mijjaoui, K. Nacer, chœurs.