Ceux qui ont un jour eu la chance de voir le chef-d’oeuvre burlesque de Blake Edwards, The Party (1968), se souviennent que le deuxième héros du film, discrètement installé derrière l’insaisissable, irrésistible et insurpassable Hrundi V. Bakshi (peut-être le rôle le plus inoubliable du génial Peter Sellers, barbouillé en indien de pacotille à la naïveté désarmante et à la maladresse quasi-sublime), est l’orchestre qui anime la soirée : un combo jazzy tranquillement occupé à dérouler ses tapis de rythmes bossa-nova et ses enivrantes mélodies pendant que la fête mondaine, snob et feutrée vire au carnaval ultime. Blake Edwards n’a pas eu besoin d’y réfléchir à deux fois pour confier au fidèle Henry Mancini la partie musicale de son film : c’est la treizième fois qu’ils travaillent ensemble, collaboration marquée, notamment, par les premières apparitions de Sellers dans le personnage de Clouseau (La Panthère rose et Quand l’inspecteur s’emmêle).

Pour le compositeur, le pari est simple : mettre un festival permanent de gags visuels en musique sans l’alourdir ni le souligner inutilement, créer l’atmosphère sonore d’un joyau comique sans tomber dans la redondance. « Les situations, la mise en scène de Blake, la folie de Sellers se suffisent à elles-mêmes », expliquait-il en parlant de la partition de The Party ; « Pourquoi devrais-je en rajouter dans l’humour ? » C’est donc l’élégance et le raffinement qui vont l’emporter, Mancini composant pour les aventures du délirant Bakshi un écrin musical soyeux et chaleureux ; l’ensemble de la bande son est enregistré en studio avec quelques pointures de haut vol : Ray Brown (basse), Shelly Manne (batterie) ou encore l’exquis pianiste Jimmy Rowles, dont les choristes du morceau Party poop scandent littéralement le nom. Résultat : l’une des plus belles réussites du très prolifique Mancini et, sans les images, un disque surprenant et terriblement attachant dans le charme duquel les kitscheries d’époque ne sont pas pour rien (le rayon « easy-listening » de toute discothèque qui se respecte doit comporter les impayables « too-doop-toop » des chanteuses de Party poop). On goûtera également l’énergie du thème principal, impeccable chanson pop épicée du son d’un sitar en rapport direct avec le héros, sans compter la tendre bossa Nothing to loose, chanson entêtante et mancinienne en diable que le disque propose dans deux versions (instrumentale et chantée) ; la délicieuse Claudine Longet, pour des raisons de contrat, se vit hélas interdire de micro sur le 33 tours de l’époque…