La collaboration entre Wadada Leo Smith et Henry Kaiser pour recréer la musique de Miles Davis du début des années 70 est vraiment dans l’esprit de l’époque. Difficile de trouver une différence de philosophie entre cet album et l’hommage que tout jeune lion du jazz pourrait adresser à Ellington, Armstrong ou Adderley. Leur connaissance encyclopédique de la musique de Miles les situe quelque part entre l’historien de la musique et le collectionneur obsessionnel. Pour eux, cette musique, c’est à la vie, à la mort et ils prennent visiblement leur pied à entrer dans les basques du trompettiste. Leur analyse est extrêmement précise, à tel point que je me sens tenu de citer les notes de pochette : « …ces longues sessions étaient en fait des medleys de plusieurs mouvements […]. Pour conduire le groupe d’un thème à l’autre, Davis utilisait un ensemble de signaux […] joués à la trompette. […] La rythmique fantastique constituée par Michael Henderson, Al Foster et Mtume avait développé de multiples riffs de basse en boucle, travaillant souvent sur des polyrythmies funky aux sonorités africaines. Certaines de ces structures étaient combinées et superposées avec des parties d’autres compositions. Les polyrythmes généraient parfois des situations périlleuses. Ces ‘modules’ apparaissaient parfois comme des leitmotivs.[…] »
Autrement dit, de longs bœufs relax et fertiles avec quelques repères et bifurcations ont fait cette musique. Smith, Kaiser et leur équipe utilisent ce procédé, mais sans tenter d’imiter les personnalités musicales de Davis et de sa bande. Les guitares utilisent des effets qui n’existaient pas en ce temps-là et sonnent aussi plus rock que Pete Cosey, Dominique Gaumont ou John McLaughlin. D’un autre côté, les anches, dont les membres du fameux Rova Saxophone Quartet, sonnent plus avant-garde que sur les albums originaux de Miles. On a ici affaire globalement à une œuvre léchée, agréable.
Mais quand Miles faisait cette musique, personne ne savait ce que c’était. C’était une musique étrange, émouvante, sans concession, elle possédait toute la tension que la musique de Miles avait toujours eue. Plutôt dérangeante. C’est ce qui manque à Yo Miles !. C’est un album plein de nostalgie, avec toute l’assurance que peuvent donner vingt années de recul. Ca ressemble plutôt à une bande de bons conteurs qui s’échangent des anecdotes à propos du Miles du début des années 70. Si amusant que ce soit, ça me donne envie de repasser les originaux.

CD 1: 1) Big fun/Hollywuud – 2) Agharta prelude – 3) Miles Dewey Davis III great ancestor (Smith) – 4) Black satin – 5) Ife – 6) Maiysha
CD 2: 1) Calypso frelimo – 2) Moja – 3) Themes from Jack Johnson (Yesternow; Right off; Interlude/Tune in 5; Willie Nelson; Right off; Spanish key; Right off) – 4) Wili (for Dave) Compositions de Miles Davis sauf indication contraire

Wadada Leo Smith (tp), Henry Kaiser (g), Nels Cline (g), Chris Muir (g), Bruce Ackley (s), Steve Adams (s), George Brooks (s), Larry Ochs (s), Jon Raskin (s), Freddie Roulette (lap steel guitar), Elliot Sharp, (g, lap steel guitar), Oluyemi Thomas (bcl), Paul Plimley (p), Greg Goodman (p), Bob Bralove (elk), John Medeski (org), Michael Manring (elb), Wally Ingram (perc, d), Lukas Ligeti (d, perc). Enregistré à Berkeley, Californie, du 5 au 8 janvier 1998