Deux disques, dix-huit violons, six altos, cinq violoncelles (ceux de l’Orchestre de Bretagne, dirigé par Stefan Sanderling), un livret de treize photos signées Le Querrec et le renfort de l’ami Claude Barthélémy qui a écrit les arrangements : c’est en grand qu’Henri Texier a vu cet album qu’il dit lui même être « hors du commun », concrétisation du projet longtemps caressé, longtemps repoussé de se frotter aux cordes et à leur « esprit » –Strings’ spirit. Le contrebassiste fait remonter la généalogie de l’idée à ses écoutes de Gil Evans, porte d’entrée vers les impressionnistes et les compositeurs classiques, ainsi qu’aux grands « with strings » qui jalonnent l’histoire du jazz (Focus, de Stan Getz, Skies of America, d’Ornette Coleman ou Amoroso, de Joào Gilberto) ; de là l’envie de mêler à sa musique le son si spécifique des ensembles de cordes, malgré la démesure que semble comporter un tel projet. Techniquement, l’album a été réalisé en deux enregistrements successifs : celui de l’Azur Quintet (avec les compagnons Glenn Ferris au trombone, Sébastien Texier au sax alto et à la clarinette, Tony Rabeson à la batterie et Bojan Z au piano) au studio Gil Evans à Amiens d’abord, celui de l’Orchestre de Bretagne à Rennes ensuite, avec toutes les possibilités qu’offre le montage en studio.

Neuf nouvelles compositions (ainsi que Desarwa et Colonel Sköpje, choisis par Barthélémy) pour tenter l’étonnante aventure consistant à imbriquer dans la musique de l’Azur Quintet, l’une des plus personnalisées et reconnaissables qui soient, celle imaginée par le guitariste pour l’Orchestre, soit tout autre chose qu’une simple couche de vernis ou une série d’enjolivures habiles : la réussite est totale, l’intelligence réciproque des sensibilités musicales tangible. Sans s’avérer envahissantes ni superficielles, les cordes (on pense parfois au travail d’arrangeur d’un autre guitariste, Jim Hall), dansantes ou incisives, s’intègrent remarquablement dans les partitions entêtantes du contrebassiste, dont le vrai-faux blues à surprises Glenn the space (hommage à son tromboniste bien sûr -une autre composition s’intitule Tonic Tony) peut être envisagé comme une raison suffisante pour acquérir l’album. S’il en fallait une autre, outre le fait que l’Azur Quintet est probablement l’un des groupes européens les plus importants aujourd’hui, on évoquerait bien sûr l’extraordinaire solo de Bojan Zulfikarpasic dans Sacrifice (Texier : « le piano comme je l’entends, là, dans le solo de Bojan, je ne l’ai jamais entendu comme ça de ma vie… Sauf quand je suis accoudé au bord du piano et que j’ai la tête sous le couvercle »), splendide morceau de près de dix-sept minutes qui est sans doute l’un des plus renversants moments de jazz qu’on ait entendu depuis longtemps. Ca n’arrive pas si souvent.