Premier enregistrement de The Shadows of time créé l’an passé à Boston. Occasion de faire le point sur l’œuvre de Dutilleux, compositeur célèbre dont l’œuvre est cependant mal connue. Est-ce à cause de son langage très personnel, à l’écart des champs d’exploration des compositeurs actuels ? Est-ce à cause de son indépendance intellectuelle qui le laisse finalement à l’abri des polémiques qui enveniment la vie musicale ?
Il n’est vraiment pas un conservateur (personne n’a jamais pensé le classer parmi les compositeurs néo-classiques), mais on ne lui colle jamais l’étiquette d’avant-gardiste. Dutilleux semble totalement étranger aux oppositions Messiaen-Poulenc, voire aux bagarres de cours d’école Boulez/Landowski. Il doit s’en foutre un peu. Il écrit une musique qui lui ressemble, loin des questions qui ont terrorisé tous ses confrères (quel langage musical utiliser, comment intéresser le grand public à la musique d’aujourd’hui, etc.).
Partout où il passe, c’est le triomphe de sa musique, servie par les plus célèbres interprètes du moment. En témoignent son concerto pour violoncelle, Tout un monde lointain, écrit pour Mstislav Rostropovitch, et celui pour violon, L’ombre des songes, dédié à Isaac Stern. Qui dit mieux ? Homme indépendant donc, dernier grand symphoniste du siècle.

A l’écoute de cet enregistrement public où rien n’a été oublié pour nous faire croire au caractère historique -exceptionnel (applaudissements compris)- de l’événement, on saisit vite ce qui le hante : recherche radicale d’unité de temps, d’espace, et travail sur des images intemporelles, sur des événements lointains. D’œuvre en œuvre, depuis sa deuxième symphonie et La Nuit étoilée, Dutilleux est un maître unique dans la science de l’orchestre (ça sonne !!). C’est Les Heures, Vagues de lumière, Dominante bleue, ou Mémoire des ombres, à la mémoire « d’Anne Frank et de tous les enfants du monde, innocents ».

Kitsch à pleurer ? Oui… Cette musique semble déjà bien datée, et Seiji Ozawa, à la tête de sa Rolls, le Boston Symphony orchestra, sauve tout juste les meubles. Chaque grand artiste a ses ratés. On doit lui pardonner (il a 73 ans) et se réconcilier avec lui en écoutant par exemple son quatuor Ainsi la nuit. Mais peut-on pardonner à sa maison de disques (Erato) de nous balancer un CD de 20 minutes au prix (dérisoire ?) de 75 francs ? Pas sûr.