L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato est une œuvre inclassable : ni oratorio (le sujet, allégorique inspiré du poème de Milton a plus d’accents rousseauistes que religieux), ni opéra (pas de personnages au sens propre, donc pas de conduite dramatique). Composée en 1740, elle connut un vif succès, et fut régulièrement reprise -et remaniée à l’occasion dans les années qui suivirent. Plus d’un compositeur anglais lui doit allégeance du point de vue de l’inspiration. Il s’agit d’une œuvre complexe, profondément anglaise par le texte, le thème et la qualité mélodique (l’influence de Purcell est très sensible) mais où la formation germano-italienne du compositeur apparaît aussi de façon frappante : c’est ainsi une véritable cantate proche de certaines de celles de J.-S. Bach qui clôt la deuxième partie de l’œuvre, avec chœurs, choral luthérien, orgue soliste. L’influence italienne se manifeste quant à elle dans l’usage des grands arias da capo dont l’extraordinaire Sweet bird de la première partie. Œuvre composite donc, où les héritages divers se combinent en une musique pleine de joie et de sérénité si proche des toiles de Gainsborough ou des jardins à l’anglaise dont se nourrit notre imaginaire. Les interprètes se mettent ici au service de la beauté de l’œuvre. L’intimité linguistique des chanteurs avec le poème de Milton est manifeste et rend cette version particulièrement vivante. La direction enfin de John Nelson mérite toute notre attention, l’Ensemble orchestral de Paris est le plus souvent d’une légèreté et d’une couleur dignes des plus grandes formations baroques qui respectent à la lettre le style de l’œuvre. Saluons notamment la superbe prestation de Clara Novakova, dont le solo de flûte montre à l’évidence que les « baroqueux » n’ont pas travaillé en vain. Il est vraiment dommage qu’ici ou là les archets redevenus un rien collants enlèvent du swing et de la couleur (There let Hymen oft appear). On aurait pu avoir là un enregistrement représentatif de l’inutilité de la querelle qui opposa autrefois les Anciens et les Modernes et que d’aucuns se plaisent volontiers à attiser de nouveau.

Christine Brandes (soprano), Lynne Dawson (soprano), David Daniels (alto), Ian Bostridge (ténor), Alastair Miles (basse). Ensemble orchestral de Paris, dir. John Nelson.