Voici un enregistrement de concert complètement inutile. Sous prétexte d’être au plus près d’une certaine vérité musicale, on publie beaucoup plus volontiers qu’avant des live. Soit. Mais Barenboim n’est pas Celibidache. Au contraire. Une boulimie discographique s’est emparée du chef depuis quelques années, et on passe du meilleur au pire à chaque disque. En quelque sorte, il a tenté sa chance dans Mahler.
Concert donné à Cologne (où l’œuvre fut créée en 1904, et Mahler le regretta) en 1997 au cours d’une tournée de l’orchestre américain, on se demande bien pourquoi il a choisi cette Cinquième Symphonie (avec tous les risques du symbole pesant) qui nécessite un peu plus que quelques répétitions entre deux avions ; ou du moins c’est l’impression que tout cela donne.

On vante les multiples qualités de son talent : on est indulgent quand il enregistre des tangos argentins (bien qu’on préfère largement écouter Piazzolla) au piano ; dans Mahler, ce n’est pas possible. Symphonie rendue célèbre par son 4ème mouvement (Adagietto de Mort à Venise), on passe progressivement de l’ombre à lumière. Ici, il n’y a rien d’autre que des effets orchestraux grandiloquents, qui veulent en mettre plein la vue. L’humilité n’est apparemment pas le fort de Barenboim.

Symphonie marquée par la rencontre entre Mahler et Alma, sa nouvelle compagne, cette œuvre constitue la rupture définitive entre Mahler et les musiciens à programme comme Richard Strauss. En effet, aucun texte n’accompagne l’œuvre et aucun lied ne vient s’intégrer dans un des mouvements. Seule la musique compte, musique qui croit encore dans le triomphe de l’homme et de la nature sur la douleur et la mort malgré les apparences. On part d’une marche funèbre signalée par ces appels à la trompette en do dièse mineur et qui ont un effet saisissant, lorsque l’on ne se précipite pas dessus pour en faire une démonstration de précision instrumentale (Bruno Walter leur donnait une couleur sombre et malsaine assez surprenante), pour arriver à un rondo final qu progresse inexorablement vers l’éclatement ultime. Barenboim ne fait passer aucun souffle créateur, aucune émotion primitive dans « cette mer grondante et mugissante ». On en reste vraiment à une lecture sommaire de l’œuvre, sans laisser de place à la moindre imagination interprétative. Retournons simplement à ce qu’ont fait Boulez ou Chailly récemment.