L’industrie de la ligne de basse sale et suintante héritée du rock’n’roll pensait tenir sa revanche ces jours-ci, ressortant deux de ses plus glorieux produits sur les flancs électroniques. Deux ? Un et demi, en fait. Avant que le premier ne rate sa cible et le second n’élude la question. Récit d’un rendez-vous manqué.

En 2003, Soulwax, division électro-rock galvanisée par la notoriété de son doppelgänger 2 Many DJs, délivre dans un accès de confiance le diptyque Any Minute Now et son versant dancefloor, Nite versions -collection d’hymnes pour stadiums accros à la bière, aux frites et au foot, tentant vainement de caresser les vinyles, de l’huile plein les doigts. Un disque aussi maladroit aurait dû logiquement se casser la gueule et exploser en morceaux. Au lieu de ça, il a implosé en boîtes de nuits et soirées SupDeCo où l’on se farcit encore le slogan NY Excuse par menus XXL. Depuis, Soulwax n’a plus quitté sa gestation et le label Skint, fier de son avatar Goose, nous envoie aujourd’hui le caca d’oie Bring it on comme un échantillon ketchup gratuit en supplément. Impressionnant deux minutes, ce gang de prépubères nous ressert les mêmes fish’n’chips cheap (British mode), basses clinquantes et hand claps métronomiques à la chaîne (Black gloves) qui, s’ils espèrent faire fondre de chaleur les dancefloors avec leurs sursauts pompiers Bring it on et Check, accusent en réalité une frite aussi molle qu’un plat réchauffé au micro ondes -écoutez ce Slow down, sorte d’early Phoenix sous ritaline. Les pauvres gémissent Give me a reason to cool you down, an explanation, nous glissent un bon de réduction à valoir sur leur Everybody putassier, mais on finit par se barrer. Junk Food.

Idem, on aurait pu croire James Murphy (aka LCD Soundsystem) capable de ne s’en tenir qu’à ce strict cahier des charges industriel d’entrée en danse : activation des boutons play, frappés des mains et lignes de basses hypnotiques. Lui, qui signe des remixes funk au kilomètre sous la griffe DFA pour les exclus du dancefloor -Le Tigre, Hot Chip ou Nine Inch Nails. Lui, qui compose un marathon de 45 minutes pour le lancement d’un combo Nike / iPod, alternant accélérations cardiaques et instants de relaxe, avant l’inévitable sprint final. Lui, l’homme qui a tout étudié des processus de transe, des battements du corps, des extensions physiques du domaine musical et des liens chorégraphiques en découlant. Mais très justement, l’Homme a mis à mort ses connaissances scientifiques pour s’improviser démiurge, et ranimer quelque fantasme des plus ancestraux : donner corps au chant des machines.

A l’instar d’Eno, sa haine du tout technologique / tout métronomique perturbe ses instrumentaux robotiques. En proie à des pulsations syncopées et spasmodiques, ses compositions les plus passionnantes débordent la mesure traditionnelle du 4/4, avivant l’émotion depuis le plus froid des synthétiseurs. Ainsi, Get innocuous, titre d’ouverture de The Sound of silver, paré de vocaux terrifiants, marque le retour du vrai Berlin électronique, au crépuscule des années 70, Bowie et Eno enregistrant le glaçant triptyque Low / heroes / lodger l’échine glacée par les beats de Kraftwerk. Impression renouvelée quelques tours de disque plus loin, Someone great ralentissant le rythme et infléchissant sa ligne de basse pour n’en dégager qu’une infra-mélodie, suggérée par quelques battements irréguliers, blips torturés et xylophone -ou l’innocence faite machine. Meilleur encore ce All my friends, tout construit sur une boucle de piano, indéfiniment répétée à la main- pièce magnétique où les rôles s’inversent, et l’analogique devient elle-même mécanisme réfléchissant au service du métronome. The Sound of silver, titre éponyme, achève d’oblitérer les frontières entre territoires électroniques et fréquences kraut’n’roll dans son succédané de plages ambiantes, chœurs automates et percussions brésiliennes. Ou comment surprendre après cinq années à haranguer les foules sur le seul ressort d’un hymne stupide (Yeah), étendard d’une génération qui s’ennuie, toute condamnée à reproduire au millimètre sa débauche rock’n’roll. Soit, quand LCD Soundsystem s’affirme en explosant le cadre dans lequel il a enfermé une armada d’opportunistes -Goose aurait dû la fermer.