« Cinema for the ears. » Pas besoin de verser plus longuement dans les citations comeladiennes pour définir la musique du duo Alison Goldfrapp / Will Gregory. Vite résumé, peut-être, mais la quintessence est là, Felt mountain est la bande-son idéale et polymorphe de tout un univers cinématographique, balayant allègrement du film noir des années 60 à l’univers interlope de David Lynch. Coïncidence, Will Gregory vient justement de l’école anglaise du soundtrack signé BBC et Alison Goldfrapp a traîné sa junky-attitude dans les studios de Tricky et Orbital. Le croisement des univers est tout en osmose, renvoyant les BO imaginaires de Craig Armstrong (producteur de Massive Attack) à leur état premier -de vulgaires plages sirupeuses noyées dans une fascination béate du tout technologique. Et même si nos rock critics auront vite fait de convoquer les ombres distantes des musiques électroniques pour définir plus avant le projet global de Goldfrapp, les couleurs musicales de Felt mountain n’évoquent en rien un projet electronica. Pas l’ombre d’un sample ou d’un échantillonneur ; tout ici est génialement organique, de l’acoustique à l’électrique.

La seule référence valide reste immanquablement Portishead. Si Will Gregory n’a participé que d’assez loin à l’aventure du groupe de Beth Gibbons, en tant que saxophoniste, il en a tout de même gardé un sens de la composition très marqué, où se mêlent avec facilité mélodies nostalgiques et vocaux acides, mélopées langoureuses et sifflements lointains. On aurait pu tomber dans une variation mineure sur le thème du trip-hop estampillé Bristol mais le groupe mené par les talents de direction du saxophoniste/multi-instrumentiste ne se commet en aucun moment dans un revival mal venu. Au contraire, les seules influences directement lisibles sont à chercher chez les minimalistes du soundtrack, Nino Rotta ou Ennio Moricone en tête. De ces deux maîtres de la musique ciné-climatique, Goldfrapp a retenu l’essentiel, c’est-à-dire une aptitude étonnante à créer des ambiances intrigantes et éphémères. Economie de notes (quelques cordes, une basse lointaine, un piano qui s’égrène), mais aussi économie de moyens pour un projet musical qui ne saurait se révéler autre chose que l’une des meilleures surprises de cette rentrée musicale en attente des mastodontes d’octobre, Radiohead, Björk et PJ Harvey. Loin du mainstream, Goldfrapp crée l’événement. En toute discrétion.