Mais qui est donc Pandolfi ? La réponse risque d’être difficile. Approximativement né dans les années 1620 aux alentours de l’Ombrie, on trouve mention de son nom dans les annales de la cour d’Innsbruck. Voilà à peu près tout ce qu’on peut en dire. Naturellement, on est enclin à douter de l’existence véritable de ce compositeur si mystérieux. Pourquoi ne serait-ce pas une farce de quelque musicologue ? Mais il nous reste les œuvres. Il n’existe plus à vrai dire que deux recueils de 6 Sonates, édités dans les années 1660. L’histoire s’arrêterait là s’il n’y avait pas les titres. Quels titres ? La Cesta par exemple. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Le Duc de la cour d’Innsbruck entretenait un orchestre de musiciens italiens dont le « connu » Antonio Cesti (René Jacobs a enregistré un de ses opéras il y a quelques années maintenant). La Cesta pour Cesti donc. Chaque sonate (à l’exception d’une) est dédiée à un des musiciens de cet orchestre, comme La Castella pour Castelli, pour prendre un autre exemple. Faut-il voir alors chaque sonate comme le portrait, la caricature du musicien dédicataire ? Toujours est-il que chaque sonate, dont les mouvements sont enchaînés, demande à l’interprète de déployer toutes les richesses de son instrument : humour, grâce, mélancolie, excitation… Usant d’un langage très chromatique, souvent déclamatoire à la façon d’un Monteverdi, il semble que la musique prend forme « sous » nos oreilles. Virtuose et explosive, faite de glissades, de dissonances, de ruptures, cette musique se situe entre archaïsme et modernité nous entraînant jusque dans des mélodies aux allures tziganes.

Faut-il rappeler que tout cela n’aurait pu être sans la curiosité d’Andrew Manze ? Violoniste aussi génial qu’imprévisible, il nous a fait découvrir tout un pan du répertoire du 17e siècle pour violon. Pandolfi est sa dernière découverte et nous ne pouvons que le remercier infiniment d’avoir ressusciter ses œuvres. Son jeu bourré d’effets est un théâtre sonore. Manze, qui conseille de ne pas toutes les écouter d’affilée (et il a bien raison), est un peintre des émotions à la palette large : de la plainte la plus déchirante à la gaieté la plus simple, rien ne lui échappe. Bénéficiant de la complicité infaillible de Richard Eggar, ce disque est en tous points un bain de jouvence. A consommer sans modération. A quand son remboursement par la Sécu ? Ajoutons de plus qu’il donne une bonne leçon aux interprètes qui tiennent trop pour acquis une partition dont la seule fonction est d’être réappropriée, retravaillée, réétudiée. On aimerait ainsi voir plus souvent certains interprètes dans les bibliothèques et qu’ils se muent un peu plus en musicologues tant ils sont les seuls à pouvoir faire vivre la musique du passé.