Gooom Disques est le label électronique qui monte. Après la sortie de Nordheim d’Anne Laplantine, Minimum Complexe de Cosmodrome ou les productions des Rennais de Mils, on retrouve avec cet eVidenZ e.p. du parisien Gel: la patte d’un label exigeant aux choix intelligents. Après les singles remarqués chez Active Suspension, Intercontinental et Artefact, c’est avec un égal plaisir qu’on retrouve l’electronica toute de torsions et d’émotions de Julien Loquet, qu’on mettra « révélation 2000 » dans nos bilans de fin d’année-nouveau siècle.

Gel: perpétue la chaîne de l’étrangeté mariée à la technique, initiée par Cronenberg dans son film eXistenZ et poursuivie par Mehdi Belhaj Kacem dans sa revue eVidenZ, dont le jeune musicien reprend le titre pour cet e.p. On attendra qu’un nouvel artiste, cinéaste, écrivain ou musicien, continue la chaîne, en appelant son projet Gel: ou Je sais que tu es là, David, titre du troisième morceau de cet e.p. en ruptures de sons et créations de sens.

Chaos organisé, anarchie systématisée, cette dernière production ne déroge pas à la règle de l’absence de règles initiée par les premières réalisations de Julien Loquet, adepte du contre-pied ironisant, du break inattendu et de la touche indistincte. Ce six-titres se décline autour de la joliesse du son (petit grincement, eau qui coule, bleep en delay, chtonk assourdi, tic-tic réverbéré) qui dessine une poésie sonore impromptue et surréaliste (dans ce sens que le procédé surréaliste associe deux images éloignées pour produire une troisième image poétique, et plus les images seront éloignées et plus leur rapprochement aura de force poétique). Par chaos ou anarchie, n’entendons cependant pas violence, car la musique de Gel:, si elle est déstructurée et défragmentée, est aussi douce aux oreilles, berceuse hypnotique et déliée de sonorités claires et distinctes, agencées harmonieusement dans un savant désordre. Ce couple harmonie-désordre peut sembler contradictoire, mais ne l’est pas ici, l’équilibre des tons et des couleurs se situant dans un miracle de légèreté et d’évanescence. De violence, on ne retiendra que celle du quotidien domestique, dans le morceau Silo, dont le point d’orgue est l’engueulade copiée-collée en crescendo d’un couple d’amoureux. La suite de Silo correspondrait au calme après la tempête, des samples de cordes éthérés dissolvant la crise dans une torpeur un brin oppressante, l’écho subtil du climax résonnant dans la répétition de loin en loin des bribes du trauma, transformées, accélérées, rendues peu à peu indistinctes, comme un souvenir qui disparaît.

Cette intrusion de la réalité et son lent évanouissement dans la musicalité ont un pendant inversé : la teneur étrangement inquiétante que prend le quotidien quand on écoute cette musique au casque, par exemple, dans la rue. Le contraste entre l’ironie ponctuelle des sons (beats arrondis, petites notes de synthé zigzaguantes, glouglous), et la gravité des nappes, produit une tension, une inquiétude malsaine qui fait de ce disque un curieux objet magique, plutôt magie noire. On imagine Gel : pratiquer l’agencement des sons en obscurantiste kabbaliste, en numérologue précis, et les associations deviennent productives de sens et de sensations, lentes manipulations dont on peine à se détacher. A l’avenir nous aurons Gel: à l’oeil…