Fugu est le nom d’un poisson rare donnant la mort à ceux qui en mangeraient après l’avoir mal préparé. Dans le cas contraire, il est un mets des plus fins. Dans le cas de Mehdi Zannad, qui se cache timidement derrière ce pseudonyme, on ne gardera que la seconde partie de la métaphore. La musique élaborée par ce jeune Nancéen de 30 ans n’a rien d’empoisonné, et se révèle subtile et parfumée, plus vivifiante que dangereuse. On sort exalté, gonflé à bloc, d’une écoute de Fugu1, et on en redemande.

Mehdi Zannad, après plusieurs années de conservatoire, est tombé très jeune dans le chaudron de la pop 60’s anglaise (Beatles, Kinks, Zombies et autres Left Banke), et n’est jamais revenu de ce traumatisme émerveillé. Après quelques singles en guise de mises en bouche sucrées (sur Elefant ou Groovy Moogy Recordings notamment), ce premier album de Fugu décline ambitieusement ses mélodieuses références, comme un album de fan, fidèle à la lettre et à l’esprit : ligne claire de guitares, basses rondes, chœurs Beach Boys, mille-feuilles de violons… Cependant, Fugu 1 est plus qu’un album sur l’air de « je connais déjà » sans originalité, car il y ajoute la modernité et les influences d’une pop contemporaine de qualité, par de fructueuses collaborations (Sean O’Hagan des High Llamas, Laetitia Sadier de Stereolab, John Cunningham au mixage). Ainsi, aux superpositions d’harmonies et d’instruments pop et désuets (clavecin, Wurlitzer, mellotron, Clavinet, Rickenbaker), Fugu ajoute une énergie et des structures toutes modernes. La forme (un parti pris de production à l’ancienne) et le fond (des chansons à la mode d’aujourd’hui) en font un tout cohérent et intensément agréable.

Digressant avec enthousiasme sur cette merveilleuse éducation anglaise (comme le suggère le morceau n° 13, sans titre, où des pleurs d’enfants répondent à des couches de cuivres bondissants -hommage inconscient au meilleur album de Katerine ?), des Variations Fitzwilliam qui sonnent plus comme des variations autour de Left Banke ou de leurs successeurs Montage, à d’intenses réminiscences de Sergeant Pepper (Tsimbalon, magnifique visite guidée des arcanes de She’s leaving home) ou du Village green preservation society des Kinks (Baragan), en passant par de petits intermèdes musicaux évoquant le meilleur de Smile ou de Pet sounds (ce son de basse si particulier, ces petits grincements concrets et percussifs, ces chœurs en cascades), Mehdi Zannad s’éprend d’harmonies, vocales ou instrumentales, se superposant mélodieusement en une architecture baroque et foisonnante, au sommet de laquelle sa voix d’ange (parfois un peu trop) haut perchée pose comme un génie d’une bastide imprenable.

Sur un nuage, ce premier album est déjà accueilli chaleureusement à l’international, mais peu défendu dans l’Hexagone, toujours réticent (on ne saura jamais trop pourquoi) à saluer les musiciens français chantant en anglais. Dommage, car Fugu pourrait être une des pierres angulaires d’une pop française à succès, également ouverte à son multiculturalisme, avec Tahiti 80, Phoenix, ou Air et Daft Punk. On voudrait ici que pour une fois, notre parole porte, et que les gens aillent acheter cet indispensable compagnon estival. Mehdi Zannad, mariant son éducation classique à son amour d’une pop lumineuse, d’hier et d’aujourd’hui, évite le piège du revivalisme nécrophile, en produisant une musique dynamique et jouissive, singulière et finalement futuriste. N’en déplaise aux prescripteurs de tendances, l’avenir de la pop, c’est encore la pop.