Après Diabologum, un de mes groupes préférés des années 90 (surtout pour leurs premier et deuxième album), j’ai continué de suivre les carrières respectives des membres du groupe, plus par curiosité de fan que par réel attachement, et avec une nette préférence pour les saillies énervées et expérimentales de Programme que pour la contestation alterno d’Experience. L' »engagement » d’Experience, qui les faisait ressembler à des sortes de Rage Against The Machine hexagonaux, me semblait souvent un peu vain, comme si la dimension révolutionnaire de ce rock « réaliste » ne pouvait s’abstraire de son contexte idéologique : le marché du disque, la représentation, le « spectacle »… Aujourd’hui, alors que Programme s’est dissout (il en reste des restes dans Non Stop), je crois bien que le meilleur album d’Experience est sorti, et c’est un album de reprises.

Positive karaoke with a gun contient quinze reprises, rap (Public Enemy, A Tribe Called Quest, Ol’ Dirty Bastard, Supreme NTM), punk-rock (Shellac, Pussy Galore, Public Image Limited), folk-rock (Bonnie Prince Billy, Mendelson) ou légèrement rétro (Moonshake, Gil Scott Heron), le tout sur une prod’ à la Albini, sèche, nerveuse, électrique. Si on apprécie le tracklisting pour son éclectisme et ses vertus contestataires (en plus de remettre au goût du jour quelques vieilleries bien choisies -Moonshake notamment), la vraie bonne surprise de cet album est la capacité ingénieuse de Michel Cloup à franciser quelques classiques anglo-saxons et d’en faire de tout nouveaux morceaux, à l’impact d’autant plus décisif ici qu’il est chanté dans la langue de Voltaire. Ainsi en est-il pour la cover de Television will not be televised, le magnifique morceau soul-funk du musicien, poète et romanicer Gil Scott Heron, quasi inventeur du « spoken word » dans la musique afro-américaine, et éminent précurseur du rap. La Révolution ne sera pas télévisée, francisée et légèrement modifiée, fait écho en beauté avec les événements récents qui ont agités les banlieues françaises, dans un registre rock’n’rap énervé qui pique autant à Can (cette ligne de basse vient tout droit de Vitamin C -Can étant clairement une influence récurrente tout le long du disque-, voire Moonshake encore une fois) qu’aux thuriféraires du rap français en révolte (113, etc.). Quelques saillies bien d’aujourd’hui (« La révolution ne sera pas télévisée, rediffusée » ou « La révolution ne sera pas sponsorisée par Universal ou Danone ») intègrent la réalité socio-économique contemporaine à un vieux titre 70’s, qui parlait plus au Black Panthers et aux opposants à la guerre du Vietnam à son époque, cela en critiquant avec acuité et ironie la spectacularisation adolescente de la révolte (« Tu ne pourras pas pénétrer l’intimité du Che »). Par ailleurs, le morceau se finit sur un « La révolution sera LIVE ! » tout à fait bien choisi de la part d’un groupe qui a su se faire connaître par l’intensité et la fureur de ses sets. Même diagnostic pour la reprise de Bonnie Prince Billy, I see a darkness (Sombre) à côté de laquelle pas mal d’auditeurs français ont du passer, qui retrouve ici comme une seconde vie (après sa réinterprétation magnifique déjà donnée par Johnny Cash), mettant en évidence sa dimension toute littéraire et humaniste. D’ailleurs, au final, on apprécie surtout les morceaux en français (la reprise du Brouillard de Mendelson, Seule la musique de Costes), qui opèrent de manière frontale et incisive, flirtant sans cesse avec le hip-hop (Mendelson et Costes sont également adeptes du spoken word), en tout cas avec une parole déliée, libérée, directe.

Mais il n’y a pas que ça : le morceau d’intro ressemble à un inédit punk de BS 2000 ; This is not a love song de PIL (l’héritage punk) est transformée en hymne discoïde au petit synthé kitsch ; et si Prayer to god de Shellac n’atteint évidemment pas les sommets de colère et de violence de l’original, l’album dans son ensemble est cohérent (choix du registre parlé-chanté, choix des morceaux, choix des ré-interprétations, quand les morceaux sont trop connus, ou trop connotés) et réussi.

En bonus, on peut voir comment la révolution peut être « live » avec un DVD, Negative karaoke with a smile, belle sélection de titres issus des deux premiers albums, où l’on voit le public pogoter, slammer, head-banger avec un enthousiasme charmant. Dans le registre rock-alternatif-violent (qui est une part de marché en soi : voir Kyo, etc.), Experience est clairement ce qui se fait de mieux aujourd’hui (avec Non Stop, tiens) : le moins cynique, le plus spontané (la révolution est une manifestation spontanée), le plus enthousiasmant (la révolution naît de l’enthousiasme). On recommande l’écoute d’Experience à tous les jeunes casseurs, ça les changera de 50 Cents, ils pourront peut-être avoir une conscience politique, s’organiser un peu, on peut espérer…