Un beau matin on se rend compte que ça fait 15 ans qu’on écoute Everything But The Girl. La trentaine nous menace, et on se demande si ce groupe, qui nous a accompagné la moitié de notre vie avec sa musique si confortable à l’écoute, n’incarne pas ce qui nous effraie dans l’idée de vieillir : un ramollissement du goût.
De leur premier album folk-jazz en 1984 jusqu’à aujourd’hui, Ben Watt et Tracey Thorn ont produit une musique toujours douce, souvent mélancolique, dont le climat est resté le même à travers d’importantes variations. Des subtils arrangements bossa du début à la boite à rythmes et aux synthés d’aujourd’hui, EBTG a su garder une identité forte, essentiellement bâtie sur le timbre de Tracey, et ce malgré un important passage à vide au début des 90’s où, en cherchant à nettoyer leur son dans des studios californiens, ils avaient failli nous perdre à tout jamais.
Après l’inattendu tube Missing (remixé par Todd Terry) en 1994, tiré du sobre Amplified heart, ils se plongent à corps perdu dans les musiques « jeunes », et offrent en 1996 le drum’n’bass Walking wounded, avec au générique Omni Trio, Spring Heel Jack et Howie B. Tracey apparaît alors chez Massive Attack, Roni Size sample leur 1er album (sur New forms), EBTG est enfin « in ».

Temperamental lorgne résolument vers le dancefloor, quitte à d’abord nous effrayer. L’album s’ouvre en effet par une rythmique house franchement banale, annonçant pour le disque des sons plus durs, que EBTG ne s’autorisait jusqu’à présent que sur des remixes. La moitié des morceaux cognent ainsi avec plus ou moins de bonheur, entre beats d’usine (Compression) et gimmicks de voix stéréotypés (The Future of the future). Seul Blame, avec J Majik, s’impose d’emblée, grâce à une basse redoutable. EBTG embrasse la culture club et veut nous faire partager son ivresse : « People fill the city because the city fills the people » entame Tracey dès le premier morceau, et il est clair que l’album a été écrit avec la foule en tête. Hélas, bien que Ben soit récemment devenu un DJ reconnu, la production ne brille pas par son originalité. Low tide of the night, un truc trip-hop avec saxo, sonne franchement comme du George Michael, et à force d’effets vocaux, Tracey est parfois fantomatique, à l’image de la pochette désincarnée.

« I walk the city late at night, cause everyone here does the same » justifie-t-elle, et on comprend que leur souci de faire une musique populaire, de son temps, a pris le dessus. Pari réussi, puisque Five fathoms a été n°1 des clubs aux USA, mais on repense soudain à sa trentaine : se ranger, est-ce une fatalité ?

Ces maladresses ne gâchent pas néanmoins toutes les chansons, certaines s’incrustant même solidement dans la mémoire au fil des écoutes. Tracey chante toujours aussi bien l’adolescence (« If I’m going home I’d better change my clothes », dans le beau Hatfield 1980), et les récits nocturnes de Downhill racer (« It’s practically 2AM, I’ve got no coat »), ou le délicieusement las No difference et sa guitare funky fatiguée, nous font peu à peu capituler.
Selon son humeur, on peut être très déçu ou se laisser porter ; ce qui est sûr, c’est qu’EBTG est maintenant parfaitement en phase avec son époque, pour le meilleur et pour le pire : perdant un peu de leur fraîcheur, les deux offrent une musique sans surprise, qui ne dérangera pas au supermarché, mais ils poursuivent leur route sans que leur intégrité puisse être remise en cause. « Ces deux-là sont trop maigres pour être malhonnêtes » chantait Brel ; EBTG évolue mais reste touchant, c’est le principal. Bon anniversaire.