L’album s’ouvre sur le titre Return: mais de quel retour parle-t-on ? Celui, a priori prématuré du duo formé par le gourou ambient et l’éphémère gloire techno 90s, après le très dispensable Someday World d’il y a deux mois ? Oui, et on craint même, sur les premières mesures, celui du Eno emphatique des productions U2. Sans dévier pour autant du sillon tracé par la guitare edgienne, ce Return avance progressivement vers la Lumière. Et si la note d’intention laisse planer la menace d’un académisme ronflant (Dr Eno et Mr Hyde font mumuse avec la polyrythmie et la musique sérielle), rien ne relève ici d’un exposé théorique, c’est même tout l’inverse. Dès que surgissent les rythmiques disco-funk saccadées de DBF, à deux doigts de la glitch-disco des producteurs de techno berlinois Smith n Hack, les craintes se dissipent et on entre dans le vif du sujet. Et pour cause, l’album a été conçu live, Eno et Leo Abrahams aux consoles improvisant en direct sur le jeu de guitare de Hyde et les percussions électroniques du jeune joueur de marimba Fred Gibson, maître artisan de la présente réussite.


Le titre de l’album ment un peu, mais de la highlife le duo retient une énergie vitale qui faisait défaut à son prédécesseur. High Life est à la fois plus serré (peu de morceaux, belle unité) et plus varié que le Someday World, qui tentait de ressusciter sans succès le Dieu Eno des années 1970 (Hyde qui courait après le chant des David Byrne-Bowie), et aussi moins moelleux, moins « pop lustrée pour upper class vieillissante »: enfin, du frottement! Surtout, il s’avère infiniment plus frais, même s’il y fait moite – on y transpire volontiers (ça danse) et le climat y est tropical (c’est dense). Chants et rythmes, lancinants, s’insinuent jusqu’à l’obsession, comme sur ce long et beau Time to Waste It. C’est de façon détournée et délicate que le disque évoque la highlife, ses racines surtout: plus encore qu’aux extases syncopées de l’afrobeat, on songe aux entêtantes douceurs de la palm-wine music.


Le ciel bleu de High Life s’électrise parfois, et l’orageux Moulded Life dépoussière presque les bandes du 1.Outside qu’Eno tailla pour Bowie, contrastant à merveille avec la langueur du conclusif Cells & Bells – peut-être, sous son finalisme chill-out et son vocoder, le titre le moins fort d’un album ailleurs plus excitant. Avec une guitare sans fard, souvent confinée à sa plus simple expression, Hyde semble en retrait, n’ajoutant qu’une humble touche à la palette instrumentale du sorcier chauve. Et de fait High Life, enregistré en équipe réduite, sonne comme un disque de Brian Eno. Mieux: le disque d’un Eno qui s’amuse, qui prend – et donne – du plaisir.

A l’orée des années 90, Eno avait écarté la sortie du beau mais lisse My Squelchy Life au profit du plus nerveux et aventureux Nerve Netmutatis mutandis, High Life est aujourd’hui à Someday World ce que Nerve Net fut à Squelchy Life. Et les hauteurs de ce nouveau disque, bien que de facture plus modeste, n’ont rien à envier aux meilleurs moments d’un My Life in the Bush Of Ghosts, la mémorable collaboration avec David Byrne de 1981. En dépit de son humilité -ou plutôt grâce à elle – High Life se révèle être l’album le plus excitant sorti par Eno depuis des décennies, et de loin son meilleur chez Warp.

S’il fallait ne retenir qu’un seul titre, c’est le magnifique Lilac qui emporterait l’adhésion. Montée ininterrompue d’une dizaine de minutes, où une guitare cristalline amadoue un climat électrique latent, ce moment de grâce synthétise les ambitions d’un album lumineux, léger et grisant. Brian Eno et Karl Hyde font des merveilles avec une idée aussi usée que la répétitivité, et réussissent l’exploit de lui rétribuer son évidence et son innocence. Petit miracle: il est rare que l’enthousiasme créatif d’une jam session soit ainsi restituée dans toute sa fécondité. Une fois dissipés les embruns électroniques clôturant l’album dans un ultime recueillement, l’envie d’y revenir semble inévitable – et on tient l’explication du Return d’ouverture: High Life est un disque qui se réécoute, en boucle. Et il y a de fortes chances pour que sa moiteur diffuse nous rafraîchisse durant tout l’été.