Bien sûr, il y a cette voix, cette chaleur et cette douceur qui semblent émaner de Jennifer Charles. Mais capitaliser sur cette seule qualité ne mènerait pas loin Elysian Fields si les chansons n’étaient pas elles-mêmes enchanteresses. Sur des textes susurrés avec des intonations courtisanes sans affect, Oren Bloedow, le complice de Jennifer à la ville comme à la scène, ensorcelle avec un mélange de mélodies brillantes et d’arrangements envoûtants. Le sommet de Dreams that breathe your name, qui s’inscrit parfaitement dans la lignée des deux premiers albums, Queen of the meadow et Bleed your cedar, que l’on avait cru un temps indépassables -c’était compter sans leur régularité ascendante-, est un duo intemporel : Passing on the stairs n’est pas sans rappeler Where the wild roses go, la ballade ultraclassique interprétée par Nick Cave et Kylie Minogue.

La critique du reste de l’album, à moins d’user de superlatifs, ne peut se faire qu’en creux : aucun moment de relâchement, pas de minauderie, pas de cuivres intempestifs, pas de pluie de cordes inopportunes, pas de prétention non plus. Enregistré dans des conditions idéales, non pas techniquement, mais humainement puisque les voix ont été captées dans la cuisine de leur appartement new-yorkais (en compagnie de leurs chats), l’album trouve écoutes après écoutes un équilibre d’autant plus précieux qu’il est précaire. Certains titres viennent en effet bousculer nos sens délicieusement anesthésiés. Ainsi, Shrinking heads in the sunset et Scrach se teintent d’une sourde colère, vaguement comparable à une toute petite crise de PJ Harvey.

En ces temps de musique prémâchée et jetable, Elysian Fields propose une alternative poétique. Il est terrible d’apprendre que le groupe a eu les pires difficultés pour sortir cet album, la maison de disques leur reprochant vraisemblablement des résultats insuffisants. Les contingences économiques font figure d’insulte face à un tel engagement pour diffuser du bonheur. Car il semblerait bien que Jennifer Charles et Oren Bloedow soient en mission dans notre siècle pour apaiser et caresser nos esprits sollicités tous azimuts. Never mind that now et Narcosmicoma en sont des ambassadeurs charmants. Ces titres, tout comme l’intriguant instrumental Dogs of tears niché sur la dernière plage de l’album, plongent dans un état de bien-être méditatif que l’on voudrait prolonger éternellement.