Une légère brise ensablée souffle sur la musique improvisée ; voilà la conséquence inévitable des envolées de hype d’un certain art rock où déformalisme hippie et pilosités freak font bon, bon ménage. Stetson et bruits se retrouvent, Borbotemagus sont de nouveau invités à jouer partout (c’est une bonne nouvelle, ça) en même temps qu’une certaine simplicité primitive invite tout le monde, mauvais musiciens et public détendu, à embrasser bruit et hululements d’un même mouvement joyeux… et, pour l’instant, pas trop complaisant (quoi que, on y reviendra si les gens de 12K se laissent pousser la barbe). Notre bien aimé Staubgold a de toutes façons toujours eu la fibre poilue (publiant par exemple des raretés de Faust à une époque) et c’est sans embarras que le label allemand encourage les locataires habituels à rêver d’un bayou dans la Forêt noire, finance la rencontre entre le No-Neck Blues Band et les krautrockers de Embryo (on y reviendra vite) ou publie le premier album décent des américains fous d’Hassle Hound.

Premiers à enfiler les boucles de ceinture, Ekkehard Ehlers et ses comparses allemands (oui, tous allemands) accouchent d’un hybride étonnant mais attendu, où crachats d’amplis, fracas de cordes de guitare et harmonies blues se retrouvent étirés dans tous les sens par les formats aplatis et désertiques de la musique improvisée la plus minimale. Au premier plan, le toujours étonnant Josef Suchy passe ses bends de guitare et de balafon dans trois cent effets résonnants et fait mine d’être autant hanté, de vive voix, par Mississippi John Hurt, que par le tout récemment disparu Derek Bailey. Derrière, le trompettiste Frank Hautzinger, collaborateur passionnant de Bailey, Axel Dörner et de tout ce que la musique improvisée compte de fous de silence, tapisse l’espace de vent sale, tandis que le chanteur Howard Katz Fireheart racle le fond de sa gorge pour faire croire à l’impossible plausibilité de l’entreprise. Exotique assemblage que cette vie sans peur, chaque morceau décline la belle idée d’une musique improvisée du désert de manière différente, de l’exposition attendue (Ain’t no grave) jusqu’aux machineries glaciales et décentrées (Frozen absicht, A Second fire), en passant également par les ratages un peu embarrassants, dommage, comme ce « Nie Wieder Schnell Sagen » où le groupe n’échappe pas à la tentation de l’harmonica dans la reverb pour faire beau, pour faire peur, ou tous ces moments où le groupe se prend pour le Magic Band accompagnant le grand Beefheart (là ça fait juste frémir de peur, on touche pas à Beefheart, surtout si on est chétif, surtout si on est allemand). Enfin, il y a les trous d’air inattendus, où le groupe se fait la malle de son gros projet et se retrouve à faire, presque, du jazz modal (Die sorge geht uber den fluss). Enfin, c’est un chouette disque quand même.

Moins sérieux, moins lisibles, les quatre d’Hassle Hound préfèrent le saloon aux grands espaces. Totalement bizarres, vacillant au crossroad de la musique improvisée, toujours, de la musique électronique, oui oui, du collage et, tiens tiens, de la chanson, ils reprennent un peu les choses où les avaient laissées People Like Us, Wobbly et Matmos sur leur collégial et hilarant Wide open spaces. Lire : ils ont le western joyeux, ironique, et souvent infesté de petits hommes verts, bleus, rouge, à vous de voir. Dès Tahitian sideshow, la chanteuse Lizzy Swimmers aurait vite fait de faire croire à un truc sérieusement beau-beau et typé, si, dans les bas-fonds du mix, un cortège de sons totalement idiots ne cessaient un instant de faire boiter la chanson, et ça résume un peu ce disque, pourtant passablement impossible à décrire. Mélodies kitsch façon cantina, corral ou favelas, aux choix, tournent en thème obsessionnels, en avant-poste de montages sonores hyperactifs, en préambule à des petites explosions de joie mélodiques toujours inattendues, avec, souvent, Morricone en horizon. C’est joyeux, drôle, touchant, tout en joliesse mais jamais évident comme un disque d’electronica allemande ou de post-folk, brouillon mais jamais bruyant, mélancolique mais jamais tristoune, dense mais jamais endémique, inquiétant mais jamais sombre. Bref, ce Limelight cordial, c’est, comme A Life without fear, un disque vraiment chouette, et totalement imprévu. On dit merci, merci Staubgold.