Orchestre philharmonique de Munich, dir. Sergiu Celibidache (1986/1995).
10 CD vendus séparément ou disponibles en un coffret (+ 1 CD gratuit).

Si Sergiu Celibidache ne fut pas un dandy -puisqu’il en est question ailleurs dans ce numéro-, que fut-il d’autre ? Lui qui, traversant le siècle (1912-1996), refusa de se soumettre à LA révolution qui changea irrémédiablement le cours de l’histoire musicale : le disque -et son industrie, cet aspect-là des choses n’est pas accessoire. Qui connaît donc, au-delà du club très fermé des mélomanes (et de ceux qui eurent le privilège de l’entendre au concert), ce considérable chef roumain, qui, pendant que les Karajan et autre Solti asseyaient leur carrière et élargissaient leur audience grâce au disque, refusait, dès la fin des années cinquante, de mettre les pieds dans un studio d’enregistrement. La conserve ou le surgelé, qu’on nous sert et nous ressert de nos jours à n’en pouvoir mais -jusques et y compris dans ces live tellement traficotés- n’étaient pas du tout son truc, lui qui ne jurait que par le concert, communion entre un lieu, un orchestre, son chef et le public, toutes choses insensibles sur galette…

Les uns jugeront la position rétrograde, l’homme épouvantablement élitiste et réactionnaire -peut-être auront-ils en partie raison, quand des générations entières de musiciens ont été nourries au Ring de sir Georg ou au(x) Beethoven de Karajan… Les autres crieront à la forfaiture, apprenant qu’EMI publie aujourd’hui les 10 premiers CD (+ 1 -Bartok !- pour les heureux acquéreurs du coffret tout entier) de l’édition officielle Celibidache, dûment conçue et approuvée par son fils, le réalisateur Serge Ioan Celibidachi*. On évitera tranquillement de trancher, nous contentant de souligner l’événement -un vrai, un his-to-ri-que !- que constitue cette parution, témoignage des ultimes années du chef : les dealers de pirates en seront pour leurs frais, et nous, on ne peut déjà plus s’en passer !

Tout a été fait le plus dignement du maître, des textes du livret au formidable travail de restitution sonore, tout pour que l’on apprécie, au mieux, l’art de Celibidache. Sa sensualité inouïe, sa façon unique de faire résonner tous les pupitres d’une phalange qu’il éleva à des sommets jamais atteints, son éloge de la lenteur, aussi, à une époque où il faut que tout aille vite, prestissimo… Lui aurait plutôt tendance à laisser le temps au temps, et on ne s’en plaindra pas : car qui, avant cela, a entendu Boléro si lascif et si érotique, Tableaux si étouffants et si envoûtants ? C’est, parmi cette première vague d’officiels (mais les Debussy –La Mer !-, Tchaïkovski ou Schubert sont de la même eau…), ce CD-là qu’on vous somme, ni plus ni moins, d’écouter toutes affaires cessantes. Vous y apprendrez ce que diriger veut dire, et sortirez à jamais changé de cette expérience incomparable.

*Qui lui par ailleurs consacré un film documentaire formidable, Le jardin de Celibidache, en salle au Lucernaire et aux 5 Caumartins, à Paris.