Cet hiver, la presse spécialisée, après avoir épuisé son habituel stock de superlatifs, en était à deux doigts d’en inventer de nouveaux pour le jeune Ed Harcourt. Le « pop addict » averti est méfiant. Mais s’il a l’habitude de ces halls of fame éditoriaux et circonscrits, il se méfie forcément des pythies. Car c’est incurable : la quête inlassable de chair fraîche fait loi. Nous avons donc -forcément, mais pas dupes- entendu le « prodige » et son Maplewood. La séduction est totale, soufflante, écœurante mais a priori comme le sont 80 % des productions mises sur le marché dont le charme passe comme une mauvaise grippe de saison.

Prenons pourtant un risque calculé : Ed Harcourt ne sera jamais un feu de paille, il s’inscrit d’emblée dans la durée. Et en tout cas, on lui en voudrait maintenant de décevoir après ce monstre qui nous élève et nous réchauffe, de la première à la dernière minute. Dès que le riff maladif, répétitif et contaminant vient vicier les premières mesures de Hanging with the wrong crowd, on sait que l’on ne sortira pas de ce six titres, de cet univers, avec le sentiment d’avoir perdu son temps… Car le coup de grâce est porté dans la foulée avec le tintement métronomique des fameuses « clochettes » qui depuis Sunday morning vous sanctifient une chanson (pop). Plus loin, toujours un peu agacé, mais bluffé par l’imitation de Tom Waits sur l’incroyable folk I’ve become misguided, l’émotion se joint à l’envoûtement. Apple of my eyes, ballade parfaite, convoque ensuite le vibrato de Buckley (le fils), et réveille douloureusement comme un goût de nostalgie. Mais attention, il ne s’agit plus de mimétisme scandaleux, et l’on comprend qu’on tient là, à nouveau, quelqu’un qui va peut-être nous rendre heureux plutôt que satisfait. Ed Harcourt appartient donc à cette frange rare d’artiste qui, quoi qu’il fasse, œuvre pour notre cause.

Intemporel (je vous mets au défi de pouvoir dater n’importe lequel des standards ici présentés), sans géographie particulière (et certainement pas anglaise, en tout cas), le bienfaiteur se nomme Ed Harcourt. Il n’est ni rock, ni folk, ni pop. Il est l’évidence. Qu’il fasse tout sur ce disque n’impressionne pas, tant le produit de son artisanat noble semble naturel. Car au-delà de sa virtuosité de musicien polymorphe, c’est ce savoir-faire (inné) pour s’installer dans un registre intime qui interpelle. Cette façon de pétrir chaque morceau pour en faire un plaisir simple. Ces inventions terrifiantes (une trompette qui s’évade en vrille ; une batterie à contretemps qui sublime Attaboy), ces envolées âpres et déchirantes (Whistle of a distant train ; trois idées reconstituantes en une chanson déchirante).

Le seul reproche, en cherchant bien, serait peut-être un manque de pugnacité, l’impression de facilité que donne Ed Harcourt. Il a 23 ans, des faux airs de Lloyd Cole, et -dit-il- 300 chansons dans sa besace. Avec Maplewood, il nous en a servi six en apéritif d’un album à paraître au printemps. Et la faim dévore depuis.