La respiration lente et régulière de l’océan balance le navire doucement tandis que, tchac, craque le bois de sa coque, tchac. Dans la pénombre de la cale, leurs poitrines se soulèvent en silence ; de temps en temps, les fers qui meurtrissent leurs pieds cliquètent et raclent les planches. Alentours, dans les eaux sombres et profondes, passent les silhouettes noires des enfants subaquatiques de leurs soeurs grosses que les Blancs, du haut de cette planche infâme qu’ils avaient attachée au pont de leurs bateaux maudits, ont précipitées dans les vagues. Ce sont (tous le savent, à l’intérieur) les guerriers drexciyens qui, « préservés par Dieu pour nous éduquer ou nous terroriser », « migreront du Golfe du Mexique vers le fleuve Mississipi puis vers les grand lacs du Michigan « (The Unknown Writer, notes de pochette de The Quest, par Drexciya, Submerge 1996). Les basses et les beats de Grava 4, quatrième LP de l’aphasique et parcimonieuse carrière du légendaire collectif made in Detroit connu sous le nom de Drexciya, nous racontent juste cela. Plus secret encore qu’Underground Resistance (le duo refusait de voir le nom de ses membres même cité dans les articles, sans parler d’une photo, ou d’une interview), Drexciya partage en effet avec « Mad » Mike Banks et ses guerriers digitaux cette utopie visionnaire de la Terre Promise du Peuple Noir, qu’il situe sous la mer, là où UR navigue entre les planètes (rouges). Même si, en l’occurrence, ce quatrième album projette nos guerriers subaquatiques dans l’espace interstellaire, en s’habillant de photos astronomiques sur lesquelles figurent les coordonnées de la planète Drexciya, là où leur premier LP s’ornait d’une carte du monde et des Etats-Unis. Faut-il voir dans cette expatriation spatiale la conséquence de cette nouvelle qui parvint à l’automne dernier sur les rivages européens, annonçant la nouvelle de la mort de James Stinson, identifié comme l’un des deux membres du groupe (et également connu pour ses projets récents sous le nom de The Other People Place et Transllusion) ? Reste que cet album posthume est sans doute aussi le plus abouti du groupe. Tous les morceaux, depuis cette ouverture magistrale où les machines font revivre les fantômes des cales des slave ships, vibrent de la même tension muette. Moins ouvertement néo-kraftwerkien que par le passé, l’electro de Drexciya s’est apaisée, les beats s’immergeant plus volontiers dans d’hypnotiques nappes qui vont et viennent, mais pas moins intense.

Autre pionnier de la scène de Detroit, James Pennington, aka The Suburban Knight, a épaulé Kevin Saunderson au début d’Inner City, puis a participé aux débuts de l’aventure UR, pour s’effacer dans le seconde moitié des 90’s derrière la promesse sans cesse avortée d’un premier LP. Le voici maintenant, grâce au toujours consistant label écossais Peacefrog, qui accueille également de temps en temps son compatriote Moodymann. Alors qu’il n’était plus vraiment attendu, My sol dark direction fait honnêtement honneur au curriculum semi-légendaire de son auteur. Plus acérée que Drexciya dans les beats (et donc en cela plus conforme au canon made in Detroit, toujours fidèle à l’efficacité dancefloor, comme l’a prouvé, et de quelle manière, le Jaguar de The Aztec Mystic), la techno de James Pennington navigue plutôt, avec ses syncopes mélancoliques et ses synthés qui plongent leurs racines dans les 80s anglaises à la Yazoo, dans les eaux que fréquentaient jadis les productions du regretté Kenny Larkin (où est-il maintenant ?) ou le sous-estimé Landcruising de Carl Craig (c’est particulièrement net sur Midnight sunshine). Mais comme ici ou là The Suburban Knight mâtine d’une touche de dub sa doxa electro, l’album prend par la magie de l’écho une touche un peu plus contemporaine. Ce qui ne l’empêche pas, cependant, d’y faire figurer son classique du début des années 1990 The Art of stalking, toujours aussi solide. Et, une nouvelle fois, la capitale du Michigan nous démontre que sa techno mutique est l’une des rares musique de danse à savoir régulièrement fournir à la fois des EPs ciblés sur les dance-floors et de bons LP destinés à l’écoute individuelle. Alors, quoi de neuf ? Detroit.