« I look younger than I do » (On the bright scale). Don Nino, aka Nicolas Laureau, a déjà une belle carrière derrière lui : fondateur du label Prohibited Records, il a commencé la musique en 1989 avec le groupe Prohibition, où officiait aussi son frère Fabrice (bien connu en tant que producteur de Yann Tiersen, Dominique A, Françoiz Breut), qui a donné des centaines de concerts dans les années 90 à travers toute l’Europe et a partagé l’affiche avec Fugazi, Noir Desir, Girls Against Boys, Blonde Redhead notamment, dans une veine d’abord hardcore puis de plus en plus ouverte aux cultures et musiques du monde entier (jazz, musique indienne, éthiopienne). Cette diversité se reflète dans le projet qui suivra plus tard l’arrêt de Prohibition, NLF3[trio], instrumental et éclaté, sur deux albums mariant exotica percussive, tropicalisme discret, afro-beat en suspension, krautrock léger et psychédélisme électronique, témoignant d’un goût certain pour les musiques hybrides et les ambiances cinématiques. Don Nino est le troisième projet du sieur Laureau, dont sort aujourd’hui le second album, ce On the bright scale nuancé et précis. Songwriting folk bercé aux Nick Drake et Syd Barrett, agrémenté des coloris tropicaliste de Veloso ou Zé, parcouru d’ondes contemporaines (structures éclatées, répétitions des phonèmes, pianos sporadiques), enregistré « à la maison » autour d’un piano Pleyel central, le long de couloirs mnésiques ou au milieu de grandes pièces boisées, ce nouvel album de song-writing folk est intimiste et chaleureux comme le lieu qui l’a vu naître, posant tons et couleurs sur des chansons aérées, à l’introspection elliptique. Car les interrogations existentielles du pater familias Don Nino, quoique toujours concomitantes à la re-création d’une intimité, restent de formulations discrètes, quand leur mise en scène se complexifie : piano et réverbération naturelle omniprésents, touches psychédéliques (inversion des bandes réminiscentes, électronique), percussions en textures, toy-pianos cheap et guitares sèches mais chaudes mélangent intériorité distancée et granulosité précieuse. Les chansons semblent parfois même manquer de simplicité, sous leurs atours discrètement fastueux. Pas une coquille vide, loin de là, mais un beau disque de production et de mixage, qu’il faudra percer à jour. A chacun d’y mettre son écoute.

D’un Don Nino, passons à un Nino rojo. Il semble que c’est à propos de Devendra Banhart que Nicolas Laureau nous disait récemment : « il contrefait sa voix », voulant dire par là que le jeune folk-singer new-yorkais surjouait probablement son chant, privilégiait l’interprétation à la vérité de son propos. On est assez d’accord avec cette analyse (si du moins on s’en souvient correctement) : le « jeune et génial » espoir de la scène folk new-yorkaise a tout pour plaire (regard de braise, jeux de mains, barbe lustrée), mais on soupçonne parfois l’artificialité derrière cette irréprochabilité. On n’a rien a priori contre l’artificiel, le jeu, le théâtre, l’imposture même (la pop est une histoire d’impostures), sauf quand ceux-ci se présentent sous les dehors de l’authenticité (la barbe du Christ et le charisme de Che Guevara, au service de chansons chamanes). On préfère d’ores et déjà les tours psychiatriques du premier album Oh me oh my aux deux dernières productions, Rejoicing in the hands et Nino rojo, deux face d’une même médaille, moins lo-fi que ce premier jet, et moins sincères aussi sans doute. Pour ceux qui ne connaissent pas Devendra Banhart, mais aiment Nick Drake, Neil Young, Marc Bolan ou Bob Dylan, ils apprécieront certainement le classicisme des mélodies, le jeu en picking savant et les phrasés amphigouriques de Devendra. Les autres, comme nous, feront sans doute la fine bouche.