La musique instrumentale de Don Caballero, trio américain de Pittsburgh, a toujours été un mystère. Inclassable, en perpétuel mouvement, elle fait fi de tout genre, de toute éthique, de toute chapelle et de tout public potentiel, et demeure impossible à délimiter et à faire rentrer, même de force, dans une case à quatre parois hermétiques. La seule chose dont on puisse être sûr, c’est que la bande à Ian Williams (également éminence grise et guitariste des nettement plus éclatés Storm&Stress) vient de passer à une étape supérieure en passant à la vitesse inférieure -leur avant-power-math-rock (comme on disait à la grande époque) ayant délaissé quelques oripeaux heavy qui plombaient encore For respect ou le double Don Caballero II sans pour autant délaisser la verve énergique qui caractérise leur musique aux structures machiavéliques.

En effet, si le sobriquet math est en soi idiot, il s’applique plutôt bien aux enchevêtrements rythmiques et mélodiques extrêmement élaborés qui font la matière des morceaux d’American Don. Si Storm&Stress a choisi de réduire les structures en poussière pour mieux laisser se libérer les fragrances d’insurrection formelle, Don Caballero les pousse dans leurs derniers retranchements, s’immisçant dans les derniers interstices mal connus et les moins explorés de la feuille à portée. Les contretemps deviennent épines dorsales, les mesures tournoient et se mordent la queue en un déphasage constant, les lignes mélodiques jouent de la répétition pour mieux se jouer de nos sens.

Bien sûr, de lourdes correspondances existent : difficile de ne pas penser à Electric counterpoint de Steve Reich, où la guitare de Pat Metheny devenait sujet de thèse aux plus fous exercices polyrythmiques pour finalement terminer vacuité et étalage sonore, ou encore à son mythique Music for 18 musicians. Mais là où Tortoise ou Nobukazu Takemura ont eu toutes les peines du monde à se dépêtrer de l’influence du maître minimaliste américain, Don Caballero amène ses étourdissantes escapades en un territoire inconnu, en insistant sur les mouvements de traverse, sur les inconnus alternatifs. Et il s’amuse en greffant à ses ébouriffants jeux de notes fureur et plaisir de jeu, humour et attitude (voir les titres, plus savoureux les uns que les autres, tels Haven’t lived afro pop ou Let’s face it pal, you didn’t need that eye surgery) tout en invitant l’auditeur à une passionnante suite d’énigmes et de trompe-l’oeil musicaux.